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Psychiatre infanto-juvénile et psychothérapeute.

L'accueil des parents au quotidien

Ph. Kinoo, A. Mathy (2005) "L'accueil des parents au quotidien", Revue des hôpitaux psychiatriques de jour, vol. 7, Liège.

 

1. Contexte institutionnel

Deux mots pour présenter notre centre.
Nous y accueillons vingt à vingt-cinq enfants, de 0 à 12-13 ans. L'essentiel du fonctionnement est en centre de jour, mais cinq enfants peuvent être hospitalisés à temps complet; ils "dorment" au sein de l'unité de pédiatrie, où un éducateur les prend en charge dès 7h le matin, et les accompagne le soir jusqu'à 22h (ou plus s'il y a des problèmes d'angoisses, de troubles du comportement,…). Nous accueillons une quinzaine d'enfants pour un "long terme" : 1 à 2 ans (enfants psychotiques, jeunes enfants autistes); la dizaine d'autres sont des situations "moyen terme" (troubles psychosomatiques, troubles du comportement,…) et des urgences (maltraitance, décompensation psychotiques individuelles ou familiales,…) ou des "bilans d'observation/action" (mise au point diagnostique et thérapeutique de trois semaines dans des situations plus particulièrement complexes ou compliquées : cela se fait habituellement lorsque des prises en charge ambulatoires ou résidentielles, déjà en place, se sentent dans l'impasse ou débordés par la problématique).

Concrètement, nous avons huit éducateurs, qui gèrent la vie quotidienne du groupe d'enfants (levers, couchers, repas et autres moments "interstitiels"), animent certains ateliers (musique, rythme, informatique, théâtre, jeux,…) et accompagnent les enfants dans certaines démarches spécifiques (rencontre du juge de la jeunesse, visite d'un parent en prison,…). Une infirmière veille à la coordination des soins physiques et à la prise en charge des troubles alimentaires (beaucoup de jeunes enfants entre 2-3 mois et 3 ans nous sont envoyés par les pédiatres pour des conduites anorexiques). Une kinésiste-psychomotricienne anime l'atelier psychomotricité, et fait des bilans de développement psychomoteur. Une logopède  fait de même pour la logopédie. Un "sportif" coordonne les activités sportives internes et externes. Trois enseignants – à temps partiel – animent les ateliers-classe et font les bilans au niveau scolaire. Un "artiste" anime l'atelier créatif. Les deux psychologues font des suivis psy individuels, des bilans intellectuels, cognitifs et affectifs, participent régulièrement aux entretiens de famille. L'un des deux anime l'atelier conte, avec l'artiste pour l'expression après récit. Les deux assistants sociaux coordonnent les démarches extérieures et le travail avec le réseau (juges, services sociaux, école,…). Les médecins pédopsychiatres coordonnent les plans thérapeutiques, et le travail avec les familles. Et une coordinatrice coordonne le tout, avec le secrétaire…

Tout le monde y travaille à temps plein, hormis un des deux psychologues, une des deux assistantes sociales, et les médecins (encore que l'un d'entre eux a son bureau de consultation à l'intérieur même du service).
Il y a quelques prises en charge individuelles (psy surtout, mais également en fonction des besoins et des possibilités, logo et psychomot), cependant l'essentiel du travail avec les enfants se fait en ateliers de cinq à huit enfants.

Les références et paradigmes sont nombreux : psychanalyse pour l'approche psychologique de l'enfant, systémique pour le travail avec la famille et le réseau, piagetienne pour le travail pédagogique,… Et il va sans dire que l'essentiel de l'énergie de l'équipe est mis dans la thérapie institutionnelle et la relation éducative avec les enfants (entrer dans la structure et le rythme institutionnel, respect de l'autre – adulte et enfant - , écoute, interventions – éventuellement énergiques – dans les crises et débordements,…). L'ensemble de ces références est intégré, naturellement, dans les différents plans thérapeutiques et dans le travail d'équipe.

2. Dispositif "géographique" d'accueil des parents, à 8h00 et à 16h00

Il n'y a pas de "ramassage" des enfants organisé de façon systématique. Ce sont donc les familles qui s'organisent pour conduire l'enfant au Centre le matin et le rechercher à 16h00 (dans quelques situations où c'est réellement impossible, un service de voiturage peut être organisé).
Les parents peuvent se garer à quelques mètres de l'entrée, pour ceux qui viennent en voiture. L'arrêt de bus est à 2 minutes. L'arrêt de métro à 7 minutes.
Dans une petite cour de récréation, une porte d'entrée, fermée, donne sur le couloir principal de l'hôpital de jour. Les parents doivent sonner, et sont accueillis par une des deux assistantes sociales le matin, et le soir par "le chat" (= l'éducateur référent de semaine, une fonction tournante entre les huit éducateurs du service).
Les parents aident l'enfant à ranger ses affaires dans un casier individuel, sortent la collation de 10 h (le repas de midi est fourni par les Cliniques), et lâchent leur enfant, qui se dirige (accompagné) vers la "grande salle" (le réfectoire), où les enfants sont accueillis par l'équipe.
Ce petit dispositif, tout simple, est cependant bourré d'éléments intéressants pour observer et définir le travail de nouage qui s'y crée, entre l'hôpital et l'extérieur.

3. Réalisation, rites et pratiques

Parents frémissants, parents joyeux, parents liants, parents frileux, ce sont eux qui au quotidien arrivent avec leur fardeau marquant la voûte de leur dos, ou la raideur de leur nuque si douloureuse. La main se fait lasse et glissante dans la main de l'accueillant.
Soutien et « portage » accompagnent alors  cette poignée de main parentale au fil des jours, pour qu’une forme de passation vienne équilibrer la relation. La poignée prend peu à peu l’apparence de la confiance, de l’acceptation, du lâcher-prise, de la communication, de la verbalisation.
Rites et délimitations des territoires marquent la place de chacun. Enfants, parents, éducateurs, A.S., dansent ensemble matin et soir, comme un ballet déterminé en son centre par une porte qui s’ouvre et se ferme, amenant le dehors en dedans et le dedans en dehors. L’extérieur ( la maison, l’école, la famille…) entre au sein du KaPP et le dedans  surgit enfin libéré en son for intérieur, faisant apparaître les mots.
D’autres mains apparaissent comme détentrices d’un langage universel, oui je te reconnais, mais ne me sers pas trop fort, j’accepte ta distance, ton silence, ton humour, c’est toi qui vient me chatouiller chaque jour!
Vision obtuse, œillères rabattues, ils arrivent leur regard fixé vers leurs objectifs, pas toujours conscients du message qu’il recèle, parfois simple, parfois double. Ils demandent écoute, attention, compréhension de qui ils sont, de leur souffrance dite ou cachée au plus profond d’eux-mêmes.

Tel un pêcheur armé de son hameçon, chaque jour est une leçon pour l’accueillant, apprendre à comprendre, trouver les mots, se taire, agir, ne rien faire, être.
Quantité n’est pas égale à qualité, mais répétition et constance assurent la permanence, l’évolution, l’amélioration de la relation.
Et puis il y a les mots et les maux, ceux qui parlent mais n'atterrissent pas, et ceux qui se taisent tapis à l'intérieur, ne laissant émerger que bandages et cicatrices.
Comment les faire atterrir pour que maux et mots s’entendent et finissent par être entendus ? Encore une fois, c’est le défi de chaque jour, d’y  être attentif et de les faire circuler, pour qu’ils ne s’arrêtent pas à la porte d’entrée, trop vite repoussés.       
Présence constante, matin et soir, assurer le lien, tel pourrait être la devise du KaPPien en faction sur la frontière du bout du couloir, entre tablette de fenêtre et casiers.
Les rituels y sont bien délimités, bonjour du matin, clé du casier, collation de 10h nominée, au revoir aux parents en sont quelques- uns.
Les petits riens font souvent de grandes choses. Par leur accumulation,  leur diversité, chacun d’eux est amené à participer au devenir de l’enfant.
 
4. Discussion en atelier
Plusieurs questions/réponses/discussions ont suivi cette partie exposée.

Rôle de l'éducateur?
L'éducateur participe en co-intervenant ("en duo") aux ateliers animés par les "permanants" (logo, psychomot, animateur artiste, sportif, enseignant), anime des ateliers "éducs", et gère "l'interstitiel" (selon l'expression de Pierre Delion): les levers, les couchers, les repas, les temps de récrés (où, de façon complémentaire, les "permanents" sont également présents). Une infirmière s'occupe très spécifiquement des aspects médico-infirmiers (les rares médicaments, surveillance du poids des enfants anorexiques, les visites médicales éventuelles,…) et également de l'organisation des repas des enfants anorexiques (quelques ados, mais aussi de jeunes enfants atteints de pathologies malformatives, ayant entraînés troubles du développement et des comportements…)
Ceci dit, le KaPP fonctionne sur un modèle "multifonctionnel", où de façon organisée et intuitive (selon notre expression interne), chacun est en partie dans le territoire de l'autre. La conviction est que ce recouvrement partiel, tantôt organisé et tantôt spontané, est un enrichissement du travail d'équipe, bien plus qu'une juxtaposition des tâches, des rôles ou des fonctions.

Le sas
La discussion a attiré l'attention sur le fait que l'organisation de l'accueil des parents dans un couloir – espace "sas" était très rassurant tant pour les parents que pour l'enfant : une contenance était prévue, avec une issue: la diagonale de l'angle du couloir… Dans l'espace sas, les régulations parents-enfant-accueillant ont lieu, avec ses rituels, ses limites. Certains enfants ont besoin plus que d'autres d'un rituel. En cela, la permanence du même accueillant du matin est importante (pas indispensable mais importante). Le soir, c'est plus facile: l'enfant retrouve une permanence, puisque c'est le parent qui vient le chercher.

Les exceptions
Tous les parents ne peuvent pas s'organiser pour conduire et rechercher leur enfant, matin et soir. La politique du KaPP est de voir d'abord si la famille peut se mobiliser (des grands-parents, oncles, grands frères ou grandes sœurs viennent parfois conduire l'enfant, et c'est l'occasion de faire connaissance avec la famille élargie), ce qui donne là aussi des résultats relationnels intéressants. Et si cela reste impossible, nous recherchons des systèmes de voiturage d'enfants malades: il s'agit habituellement de bénévoles, qui conduisent les patients à l'hôpital, avec un défraiement (+/- 0.25 €/km) pour le trajet. Mais plus de 80% des familles s'arrangent.

Conclusion

L'enfant n'est pas le seul à pouvoir être pris en charge "au quotidien" dans un hôpital de jour. Et le "travail famille" n'est pas limité aux entretiens formalisés avec l'assistant social, le psychologue ou le médecin.
Il existe une possibilité d'accueil, chaque jour, pour le ou les parents qui conduisent et viennent chercher leur enfant.
Mais cet accueil qui, forcément, existe d'une façon ou d'une autre dans tout fonctionnement d'un hôpital de jour, mérite d'être pensé et organisé comme une fonction à part entière du travail thérapeutique avec les familles.