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Psychiatre infanto-juvénile et psychothérapeute.

Psychothérapie institutionnelle familiale et ateliers avec parents

AC Brice, L. Gryspeert, M. Lefèvre, Ph. Kinoo (2009), Psychothérapie institutionnelle familiale et ateliers avec parents, Enfances/Adolescences, vol. 14/15 (2008/2 – 2009/1).

 

Le KaPP est l'hôpital pédopsychiatrique des Cliniques Universitaires Saint-Luc à Bruxelles.

Il accueille quotidiennement vingt-cinq enfants au Centre de Jour. Quatre ou cinq de ces enfants peuvent être hébergés à temps complet dans le service, week-end y compris si nécessaire, encadrés par les éducateurs.

Nous avons quelques enfants pris en charge pour un terme de un à deux ans; ce sont des enfants qui souffrent d'autisme ou de psychose infantile. D'autres restent quelques mois (enfants atteints de troubles envahissants du développement, troubles psychosomatiques graves, anorexie mentale de la petite enfance ou de la jeune adolescence,…). Pour d'autres enfin, le séjour est de quelques semaines ("bilans d'observation-action", phobies, maltraitance,…).

L'équipe est multidisciplinaire (dont huit éducateurs), et c'est le témoignage de trois membres de l'équipe que nous présenterons ici.

D'abord Marianne LEFEVRE, éducatrice, présentera son témoignage de l'accompagnement "impromptu et spontané" d'une maman, les soirées et les week-ends.

Lucrèce GRYSPEERT, psychomotricienne, évoquera les ateliers avec une maman et son jeune enfant de dix-huit mois, ateliers "réfléchis et organisés".

Enfin, Anne-Christina BRICE, psychologue fera le lien entre le travail "famille" dans l'institution et le réseau.

Avant les témoignages, une question: "Comment réunir par quatre lignes droites, sans lever le crayon, les neuf points de l'image?".


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Réponse dans l'article, après les témoignages.
 
Sébastien, récit d'une éducatrice

Sébastien avait deux ans et demi quand il est arrivé chez nous en urgence. Il était retiré à la garde de sa maman et placé par le Tribunal de la Jeunesse aux Cliniques Saint-Luc.

En effet, la maman de Sébastien était très démunie intellectuellement et socialement. Elle avait pu s’occuper de son enfant tant qu’il était tout petit mais dès qu’il avait commencé à marcher, à bouger et que le besoin de communication grandissait, elle ne pouvait plus prendre soin de lui de manière adéquate et le laissait livré à lui-même.

Sébastien était devenu un petit garçon très déstructuré qui  semblait ne jamais avoir été investi par quelqu’un. Il était comme « éclaté » en morceaux et n’avait pas d’appuis pour lui permettre de se rassembler. A la fois fuyant et serrant l’adulte si fort dans ses bras qu’on avait le sentiment qu’il tentait de se fondre dans l’autre.

Lorsqu’en tant qu’éducateur nous travaillons en soirée ou en week-end avec les enfants hospitalisés en jour/nuit, il nous faut souvent  trouver les moyens pour assumer l’accompagnement du groupe d’enfants tout en assurant l’accueil des parents dans les meilleures conditions. Entre autres choses, ces temps informels permettent à l’éducateur de percevoir certains aspects de la relation parent/enfant.

Ainsi, dans cette situation, la maman de Sébastien accaparait littéralement l’éducateur tant son propre besoin d’attention était grand. C’était une enfant parmi les autres dont il fallait s’occuper. Elle se plongeait dans des activités de coloriage et oubliait de surveiller Sébastien. Or, l’hôpital est un lieu plein de dangers et Sébastien se sauvait facilement. Il fallait donc le tenir à l’œil avec une vigilance bienveillante.

Comme éducateur, ce n’est pas facile de dire à une maman ce qu’elle doit faire. Lui faire remarquer ses manques d’attention. La maman de Sébastien était attentive à ce qu'on lui disait mais ne comprenait pas toujours les interventions de l’éducateur. Elle se mettait alors sur la défensive.
C’est pourquoi nous devions trouver des moyens pour que mère et enfant se retrouvent en situation confortable pour établir une relation, autour d’un jeu ou d’un bricolage. Il fallait leur permettre de redécouvrir des moments de plaisir ensemble.

Le moment du bain était particulièrement chaotique, Sébastien était très agité et l’atmosphère était tendue. La maman de Sébastien a dû apprendre comment avoir des gestes plus tendres pour faire de ce temps un instant privilégié. Gentiment et sans la brusquer nous gardions un œil sur eux et passions régulièrement proposer de l’aide  et voir si ils n’avaient besoin de rien. Cela nous donnait l’occasion de reprendre en douceur le contrôle sur une situation critique.

Pourtant, petit à petit un lien de confiance s’est établi entre cette maman et les éducateurs. Au bout de quelques semaines, c’est elle-même qui est venue me trouver pour me demander de venir me promener avec elle et Sébastien car elle avait peur de le perdre ou qu’il ne l’écoute pas. Cette promenade a été un moment très constructif où la maman de Sébastien a pu accepter d’être aidée et aussi de mettre des mots sur ses difficultés. J’étais présente tout en pouvant m’effacer. J’étais un soutien qui lui permettait de poser sa voix lorsqu’il fallait mettre des limites. Elle avait besoin de reprendre confiance en elle pour pouvoir être pleinement avec son fils. Sébastien, sentant plus d’attention et de cadre rassurant, était plus calme et profitait d’une meilleure relation avec sa maman. Il avait moins besoin de se faire remarquer car il était investi.
Nous avons ensuite mis en place des moments d'accueil individuel avec cette maman qui avait grand besoin qu’on s’occupe d’elle. Après avoir bénéficié de ce temps pour elle, elle avait plus à donner à son enfant.
Enfin, elle a pu participer à des ateliers avec parents comme ma collègue Lucrèce vous le décrira.
 
Ryan, récit d'une psychomotricienne

Le témoignage que je vais apporter se rapporte à un autre petit garçon hospitalisé au KaPP, Ryan. (Dans mes représentations, je le nomme: « Le petit soldat Ryan »).
 
Il a 9 mois lorsqu’il entre chez nous. Son hospitalisation en pédopsychiatrie (jour-nuit) est motivée par l’inquiétude du « monde médical ». Cet enfant fait des infections respiratoires massives à répétition, il est très souvent hospitalisé en urgence, présente un retard de développement relativement important, il ne grossit pas et en présence de sa mère, il refuse de manger, fait des crises d’opposition importantes...
Sa mère quant à elle, se présente de façon très « ado », impulsive. Attachée à son fils mais cachant son désarroi derrière une froideur agressive y compris à l’égard de celui-ci.

Lorsque je rencontre cette maman pour la première fois, elle se présente de manière déstructurée, agitée, déprimée, (voire négligée) et surtout en grande difficulté lorsqu’il s’agit de soutenir son regard dans une relation. Lorsqu’elle parle ou qu’une personne lui parle, elle s’agite dans des mouvements incessants de rotation de la tête, cheveux dans le vent, le regard volatilisé dans un ailleurs qu’aucune enveloppe ne semble contenir ou rassembler. Ce langage véhiculé par son corps agissant, devient détonnant, presque violent, lorsqu’elle s’adresse à son fils sur le mode impératif  présent: « Ryan viens ici, fais ceci,… »

« Maman parle, mais ne regarde pas … »
« Ryan ne parle pas mais regarde … »    


Dans mes représentations…

La relation mère-enfant se présente sur un mode effiloché, abîmé, fragilisé, un peu comme un tissu usé qui trop lessivé dans le tambour des redondances et répétitions aurait perdu des fibres et l’éclat de ses couleurs….

Lorsque je rencontre cette maman pour la première fois, elle me fait penser à ces épouvantails que l’on place au milieu des champs pour faire peur aux oiseaux…, et ces épouvantails qui prennent vie lorsqu’un grand vent les agite.

Ryan, lui, me fait penser à la fois à un petit prince charmeur mais aussi à un petit guerrier affrontant sans peur sa mère…

En fait, il s’agit d’un enfant en difficulté… en recherche de rencontre avec sa maman. Et d’une maman en difficulté… en recherche de rencontre avec son enfant car cette maman est attachée à son fils même si elle l’exprime sur un mode agressif voire violent.

Le papa s’occupe du tuning des voitures. Il se montrera très discret et en retrait durant tout le processus d’ateliers avec parents mais présent lors des entretiens de famille.

La proposition d’atelier avec parents émane le plus souvent de la réunion pluridisciplinaire du jeudi qui réunit l’ensemble de l’équipe. Dans la situation de Ryan, la proposition fut la suivante:

-    une série d’atelier d’autour du repas (2x par semaine) avec l’éducatrice référente de l’enfant (Séverine), la coordinatrice du KaPP (Françoise), Ryan et sa maman.

-    une série d’ateliers avec la maman en psychomotricité (2x par semaine) pour travailler la contenance, l’accordage affectif….

-    la poursuite des entretiens de famille hebdomadaires associant le père.

Sur le plan pratique, très rapidement la coordinatrice et moi-même avons trouvé opportun de proposer les 2 ateliers (repas et psychomotricité) en continuité afin de favoriser un confort horaire pour la maman.
La maman était alors invitée et conviée le mercredi et vendredi, à 11h, pour partager un "atelier" autour du repas suivi d’un "atelier avec parents" en psychomotricité à midi.


Voici les grandes étapes qui amèneront la mère et l’enfant à s’approprier le processus: un processus d’abord d’attachement puis de différenciation.

Etape 1 : (R) + (M) + (L) = 3 éclatés

Le premier atelier prend ancrage et racine dans la connaissance et les représentations que je me suis faite de Ryan dans les ateliers psychomotricité avec son groupe d’enfants.

Dans le groupe, il se montre très motivé par les chansons- gestes qui servent de rituel de début d’atelier. Il est habituellement intéressé et concentré par tout le  travail psychomoteur et même s’il présente parfois des phases d’opposition, celles-ci sont facilement gérables par l’adulte.

Prenant appui sur ce vécu, lors des premiers ateliers avec parents, je m’étonne de constater qu’en dehors du temps partagé lors des chansons-gestes au cours desquelles je note quelques bribes d’accordage mère-enfant, Ryan et sa mère se présentent sur un mode totalement éclaté et dispersé tant au niveau verbal, que spatial, qu’au niveau du regards et des corps, …

-    la maman regarde partout sauf là où nous sommes (Ryan et moi) et lorsque je lui parle, j’ai le sentiment que mes paroles sont instantanément emportées par le vent, sans véritable adresse.

-    Ryan, quant à lui, a tendance à fuir l’espace de jeu proposé pour aller toucher à tout, dans un coin éloigné de la pièce… Lorsque sa mère ou moi-même l’incitons à revenir auprès de nous, il manifeste une franche opposition que je ne lui connaissais pas et il éprouve d’énormes difficultés à réintégrer l’espace de travail proposé.

Les gestes de la maman sont brusques et ses propos violents à l’égard de son fils.
 
A ce stade, la phrase qui semble définir leur relation, est « Si tu veux être proche de moi sois loin de moi…Si tu veux être loin de moi sois proche de moi… »

Entrainée par ce vent interrelationnel mère-enfant de flux et reflux, je m’interroge alors sur l’endroit même où je vais pouvoir me situer…          

Etape 2 : ( M + L) + (R)  = 2

Petit à petit, le contenu de l'atelier évolue et prend forme autour du jouet favori de Ryan, le ballon. Après avoir placé 3 grandes pastilles de couleur sur le sol à équidistance, une pour Ryan, une pour la maman et la dernière pour moi-même, la proposition:  jouer à se pousser la balle, …

Comme à l’habitude, après un court temps d’accordage mère-enfant, Ryan quitte l’espace de jeu…, je propose alors à la maman de ne plus prêter attention à ces départs intempestifs pour prendre du plaisir (elle et moi) pour jouer au ballon.   
 
A travers ces petits jeux de ballon, la maman se montre de plus en plus présente à mon égard (qualité de présence au niveau du regard, expressions du visage,…). Ryan, quant à lui, souvent en fuite, puis probablement intrigué par notre indifférence affichée, finit le plus souvent par réintégrer le cadre de l’espace de jeu (sur sa pastille).

D’un acting out…. Ryan fait l’expérience d’un acting in    

Ainsi, plus je rencontre cette maman dans sa facette d’enfant et non en tant que maman, plus elle se montre adéquate à l’égard de son fils (moins agitée). Plus je donne de la nourriture affective à cette mère (prendre soin de, reconnaître sa place et ses compétences, ….), plus elle se montre capable d’en donner à son fiston.


Etape 3 : ( M + L + R ) = 1

En lien avec l’évolution de Ryan dans les ateliers de groupe, j’envisage d’aménager l’intérieur du local d’une manière toute autre. Ainsi, dans l’angle de la pièce, je place des tapis sur le sol, que je borde de deux bancs pour mieux clore l’espace.

Mon souci à ce stade, c'est de définir un espace plus petit, qui toutefois respecterait le travail d’ajustement spatial que Ryan est en train de réaliser implicitement en cherchant à se situer entre proximité et distance… = ce que je nomme accordage spatio-temporel. C'est aussi créer un espace très contenant, qui semble autant nécessaire à la maman qu’à Ryan, et à la relation mère-enfant (coussins, différents jeux, etc…)

Dans cet espace, si j’ai bien une petite idée du matériel ou des jeux que je vais proposer, l’atelier reste comme toujours une co-construction basées sur les interrelations dans l’ici et maintenant de l’atelier. Ainsi, si le cadre, le matériel, les objectifs recherchés sont prévus, la manière de les proposer reste à découvrir (imprévisible).

Cet espace contenant fut très investi.

D'abord par Ryan. En effet, après le temps du repas avec sa mère et la coordinatrice, Ryan s’empresse pour gagner le local de psychomotricité.
Par la maman ensuite (qui lors d’un atelier, alors que je lui signifiais que je devais quitter l’espace des tapis un instant pour mettre de la musique de relaxation, a dit: « Je vais déjà aller dans notre cocon » d’où le (M+R+L) = (1)

Probablement par moi-même enfin, dans la mesure où je mettais tout en œuvre pour essayer de faire sentir ce que pouvait éventuellement signifier « prendre soin de… »: moments de relaxation, bordé d’une couverture, musique, c’est quoi les jeux de « coucou-beuh » lorsque dans l’instant d’après on se découvre, c’est quoi la douceur, les câlins, etc… Dans ce processus, il m’est arrivé de consacrer une partie d’atelier à masser les mains et le visage de la maman tant je me suis rendue compte à quel point cette maman avait besoin de se sentir investie avant de pouvoir investir son enfant ( par la suite, elle a fait des ébauches de massage avec Ryan).  

L’apprivoisement mère-fils s’est fait en différentes étapes. Progressivement, les alternances de phases d’accordage et de désaccordage, se sont faites sur un mode plus lisse, sans véritables ruptures…, un peu comme des espaces-temps transitoires et nécessaires. Les temps d’accordage, eux, se sont faits de plus en plus longs.

D’abord accordage spatial : Ryan apprivoise la proximité avec sa maman.

Puis accordage corporel : les premiers véritables jeux corporels (de corps à corps, de peau à peau) se sont faits dans un premier temps sans que leurs regards ne se croisent…(La maman était assise sur le tapis, Ryan debout derrière elle. Elle le tirait en avant pour faire des culbutes ou des roulers sur le tapis).

Puis accordage corporel et rencontre des regards,….

Etape 4: ( R + M ) + ( L ) = 2

Un espace-temps d’éclosion de la relation mère-enfant.
Un espace-temps d’effacement pour l’intervenant.

Comme le soulignait Khalil Gibran: « Les enfants ne nous appartiennent pas ».
Dans le prolongement de cette phrase « Les situations cliniques ne nous appartiennent pas ».
En tant que professionnel, le plus souvent, on apprend à les accueillir, les cultiver, les apprivoiser, les faire éclore pour les laisser prendre leur propre envol….

Ainsi, progressivement, je n’occupe plus la place de l’intervenante qui invente des dispositifs pour favoriser les interrelations mère-enfant, mais je deviens une personne « autre », « différente », qui tout en restant présente dans la distance, valide implicitement la qualité voire la beauté des échanges mère-enfant. (Ryan vient se blottir contre sa mère, ils passent des moments d’une complicité extraordinaire durant les temps de relaxation, etc…, ils jouent ensemble, entre eux… les mouvements deviennent bien plus doux, plus fluides et sécurisants, etc…)

Pour l’intervenante que je suis, c’est émouvant et un véritable cadeau de pouvoir assister à la naissance d’une rencontre mère-enfant… comme une naissance dans l’après-coup…..

 
Etape 5 :  (R) + (M  + (L) = 3 différenciés

Il est clair qu’en termes de perspectives, le souci sera progressivement que chacun (mère et enfant) puisse tisser ses propres mailles, choisir ses propres couleurs, construire son propre tissu, et ceci en restant toujours en lien avec le monde qui les entoure.

Dans cette situation clinique du « petit soldat Ryan », tisser quelques mailles de lien mère-enfant a pris du temps et beaucoup d’énergie sur le plan institutionnel :
- tant au niveau des dispositifs proposés (ateliers autour du repas, ateliers avec la maman, entretiens de famille, sans compter le volet psychosocial, médical,…)
- et aussi en terme d’engagement de la part des intervenants.

La structure institutionnelle contenante et cadrante comme au KaPP, en lien avec l’école Escale  (école à l’hôpital) restent des structures porteuses de possibles, tant elles permettent lorsque le temps est venu, à certains dispositifs de s’effacer pour laisser place à d’autres… des formes de translations de compétences en terme de soutien à la parentalité.
S’il y a probablement un temps pour agir, proposer des dispositifs, etc.., il y a aussi en filigrane un temps pour laisser la place au temps, pour permettre à la famille d’intégrer, d’assimiler, s’approprier le processus,..


A partir de quelques bribes de représentation, la proposition de ce témoignage fût probablement d'apprendre à lire entre les mailles, là où l’explicite parfois nous manque et où un éprouvé psycho-corporel implicite peut alors se faire entendre, faire trace, et s’inscrire dans une recherche sens là où les mots défailles,…

-    apprendre à tisser une toile dans laquelle la famille se reconnaîtra et sera reconnue tout en étant contenue par des bords fiables et sécurisants.

Car probablement… C’est en tissant qu’ils deviendront tisserands !

 
Pierre, sa maman et les autres

« Ce n’est pas un fait universel nécessaire en soi, qu’un enfant soit élevé par des parents, par ses parents, par les parents. La situation originaire, c’est la confrontation de l’enfant et du monde adulte» .

Il est 10h15, la maman de Pierre a rendez-vous avec l’éducatrice responsable de l’atelier artistique. Elle vient pour un atelier avec parents.

Au départ, Pierre venait au KaPP en jour. La situation psychosociale de sa maman s’est néanmoins très vite révélée catastrophique et finalement Pierre sera hospitalisé en jour/nuit afin qu’il soit protégé, a minima, des « tracas » de sa maman. Nous serons par ailleurs dans une démarche d’accompagnement et de soutien de Madame, qui sera hospitalisée un temps en psychiatrie adulte à St Luc.

Lors de cette hospitalisation, la mère de Pierre essaiera d’être présente auprès de son fils le soir tout en étant elle-même soumis aux soins dans l’unité de psychiatrie. Suite à cette séparation, l’équipe pense à installer pour la maman des ateliers avec parents afin de soutenir la relation mère-enfant qui par ailleurs nous questionne. L’atelier avec parents nous paraît être un cadre de rencontre suffisamment contenant pour l’enfant et également respectueux du temps d’interaction et de la place de chacun.

Madame aime beaucoup dessiner; d’ailleurs elle demande au père de son enfant – qui a gardé de rares contacts avec son fils - , comme une bonne maîtresse d’école, de s’entraîner à faire des coloriages pour les réaliser après avec son fils. Père et fils ont pourtant trouvé beaucoup mieux !  Ils adorent se balader et faire du vélo.

En parlant du projet d’atelier avec parents à la maman, elle se montre naturellement très en demande par rapport à l’atelier artistique. Nous décidons de répondre à cette demande et le rendez-vous est fixé.

Après la séance, l’éducatrice animatrice de l'atelier est un peu retournée. Elle a le sentiment d’avoir été surprise et subtilement déstabilisée. La maman de Pierre a pris tellement de place dans l’atelier que l’espace relationnel avec son fils s’est considérablement réduit. Pierre l’a très mal vécu et regardera l’éducatrice avec une profonde tristesse.

Autre chose. Quand Pierre explique sa naissance, il dit: « J’ai été dans le ventre puis j’étais grand ». Oui. Dans le ventre, puis grand. Pas d’intermédiaire, pas d’interstices. Pierre à 4 ans maintenant et présente parfois des difficultés à mettre ses phrases dans le bon ordre. Mais, cette fois-ci, après l’atelier, Pierre nous expliquera qu’il est grand et qu’il ne veut plus de sa maman à l’atelier artistique. Nous comprendrons qu’il faudra trouver un autre cadre afin de travailler le lien mère-enfant et au cours d’un entretien une réflexion avec la maman est engagée.

Entre autres choses, les ateliers avec parents nous permettent d’être des témoins engagés et connus dans un univers relationnel où se mêle et s’entremêle la situation originaire : celle qui naît de la « confrontation d’un enfant et du monde adulte ».

A l'hôpital nous accueillons des enfants en grande souffrance psychique. Leur monde d’adultes à eux ce sont leurs parents. Et souvent, ces parents sont eux-mêmes des adultes en grand désarroi psychosocial voire déjà dans un circuit psychiatrique.
En respectant notre « mandat thérapeutique » à l’hôpital comme « soignant désigné » pour l’enfant, nous nous devons de déployer et de mobiliser d’autres cadres et moyens institutionnels afin de poursuivre notre prise en charge et cela au-delà du cadre strict de l’hospitalisation. L’agencement de la structure doit pouvoir être flexible tout en restant suffisamment sécurisante pour l’enfant. Il nous incombe d’y être attentifs comme acteurs afin que le travail mis en place soit suffisamment porteur et respectueux non seulement des limites institutionnelles elles-mêmes mais également des limites de la prise en charge et de celles du professionnel.

Ce qui veut dire qu’aucun dispositif institutionnel, aussi subtil et créatif qu’il soit, ne se suffit à lui-même. On l’a entendu de Marianne et Lucrèce: il est indispensable que l’atelier avec parent prenne place dans le dispositif institutionnel global. Plus encore, l’histoire de Pierre que je viens d’évoquer nous montre la nécessité de penser le réseau, en articulation avec le travail thérapeutique intra-institutionnel car la maman de Pierre ne changera sans doute jamais suffisamment pour pouvoir -seule et à long terme- assurer sa fonction parentale. Cette ouverture soutient une collaboration entre professionnels amenés à se concerter à propos de la souffrance d’un enfant rencontrée à différents moments du temps de soin. Cet espace de confiance, soutenu chez les intervenants, permet alors d’ouvrir à des temps de parole et d’ateliers particulièrement riches entre le parent et son enfant. « Penser l’institution hospitalière comme un lieu distinct avec des choses « dedans » et d’autres « dehors » est un non-sens : pour une famille il y a une continuité indistincte entre tous les intervenants » (Kinoo, Mathy, 2006).

Il va sans dire que c’est tout un travail d’économie d’énergie, d’arrangement de disponibilités et de fines combinaisons d’agenda. Cependant comme l’écrit Christophe Dejours (2007): « La coopération n’est possible que si les individus s’impliquent dans des conflits et des débats collectifs, c’est-à-dire s’ils prennent des risques ». Nous pouvons observer que cette notion de risque est étendue à l’engagement du professionnel notamment lors des ateliers avec parents. Plus largement, nous avons également le temps d’accueil du parent matin et soir (Kinoo, Mathy, 2005), les moments de visites à l’étage lors des hospitalisation jour/nuit, autant d’interstices et de véritables temps de travail thérapeutique si, bien sûr, l’on s’y risque.

Comme nous l’évoquions plus haut, la maman de Pierre a été hospitalisée peu après l’entrée de son enfant à l’hôpital de jour. Parallèlement à son séjour en psychiatrie, un réseau de professionnels s’est tissé afin qu’elle puisse être soutenue et aidée dans sa responsabilité de parent. Elle vit à présent avec Pierre dans une maison supervisée. Pierre continue de venir en jour au KaPP et fait beaucoup de progrès. Le temps de la séparation a néanmoins ouvert à d’autres impasses et souffrances. Il nous faut rester vigilants tout en étant confiant que le temps passé auprès des familles a permis à celles-ci de construire individuellement et ensemble des repères et outils de « débrouille ».
 
 
Conclusion

Pas de conclusion sauf à donner la solution à la question posée dans l'introduction.


Et un commentaire:

Sans créativité, sans "prise de risque" professionnel, pas moyen de trouver de solution dans des situations psychosociales de parents fragilisés.



Bibliographie

Dejours Ch., Colloque sur la santé mentale. Fondation Reine Fabiola, novembre 2007. « Le travail entre espoir et désespoir »

Ferenczi cité dans Laplanche, J., 2008, PUF, « Nouveaux fondements pour la psychanalyse. La séduction originaire ».

Kinoo Ph., Mathy A., 2005, "L'accueil des parents au quotidien", Revue des hôpitaux de jour psychiatriques., vol. 7, Liège.

Kinoo Ph., MathyA., 2006, "La sortie, quand on ne s'en sort pas", Revue des hôpitaux de jour psychiatriques, vol. 8, Liège.