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Psychiatre infanto-juvénile et psychothérapeute.

Comment écrire un livre en équipe ? Liberté et créativité, structure et interactivité.

N. Casimir, D. Van Den Broeck, C. Verdys, Ph. Kinoo (2013), Comment écrire un livre en équipe? Liberté et créativité, structure et interactivité. Cahiers critiques de thérapie familiale et pratiques de réseaux, vol. 50, pp 73-84.

INTRODUCTION

Belmahjoubi Hicham, Billion Jocelyne, Blondiau Charles-Emmanuel, Brice Anne-Christina, Casimir Nathalie, Charlier Dominique, Colard Séverine, Delépine Arthur, Di Salvo Marie-Rose, Durdu Olivier, El Hamidi Sara, Elakel Seloua, Gaudoux Valérie, Haouari-Chougrati Hafida, Jamoulle Carine, Kinoo Philippe, Lambelé Christine, Lefèvre Marianne, Malevez Bruno, Mathot Cécile, Mathy Anne, Padovano Nardino, Pereira Anabela, Savéant Claire, Sohy Stéphanie, Van den Broeck Danièle, Verdys Céline.
Toutes ces personnes ont participé volontairement à l’écriture d’un livre sur leur pratique professionnelle commune. Comment cela s’est-il passé, et pourquoi cela a-t-il été possible ?

Un mot sur le cadre.
Le KaPP accueille vingt-cinq enfants entre un et treize ans, répartis en quatre groupes (sept "petits", six "moyens", sept "grands" et cinq enfants atteints d'autisme). L'essentiel du travail se fait en ateliers, animés par les éducateurs, les enseignants, la  psychomotricienne, la logopède, l’animateur sportif, l’animatrice de l’atelier créatif. Participent aussi au travail l’infirmière, l’aide-soignante, les deux assistantes sociales, la coordinatrice, le secrétaire, les deux psychologues, les deux médecins.
Les psychologues proposent des entretiens individuels, orientés par la psychanalyse, et font des « bilans », avec des tests projectifs et des examens cognitifs.
Des entretiens avec les parents sont assurés par le médecin pédopsychiatre et le psychologue référent en associant, selon les besoins ou la demande, l'éducateur ou l'assistante sociale référente ou une autre compétence de l'équipe. Le travail avec les familles est d'orientation systémique.
Plus largement, les activités et la vie quotidienne se réfèrent à la psychothérapie institutionnelle – adaptée aux enfants -, ensemble de dispositifs où les médiats thérapeutiques servent de base à la construction du travail relationnel des enfants entre eux et des enfants avec les adultes, et visent un développement « global » de l’enfant .
Ayant toujours veillé à travailler en collaboration avec les parents, outre les entretiens avec eux, nous soignons l’accueil, matin et soir, qui leur est destiné et tout naturellement nous est venue l'idée d'ouvrir certains ateliers constituant la trame de la psychothérapie institutionnelle, aux parents eux-mêmes. Ce sera la première partie du développement de cet article qui tente de décrire comment écrire un livre en équipe.

Pour illustrer, au moins partiellement, ce que nous avons voulu transmettre, voici donc deux ateliers pratiqués au KaPP, et qui sont décrits dans le livre. Et en même temps, on pourra apercevoir en filigrane certains éléments qui deviendront les ingrédients de notre écriture collective.

DE L’INTERDISCIPLINAIRE A L’INTERACTIF CREATIF EN PSYCHOMOTRICITE AU SEIN D’UNE EQUIPE MULTIDISCIPLINAIRE

Tiré du livre rédigé par l’équipe de notre service de pédopsychiatrie, le KaPP, voici le témoignage de deux ateliers de psychomotricité particuliers : l’atelier de « psychomotricité-école » et les ateliers « parent(s)-enfant ».

Nous ne traiterons pas ici du contenu ni de la structure de ces ateliers, mais du processus, des différentes étapes qui nous ont conduits à la forme actuelle de ces ateliers. Il s’agit d’une évolution d’un modèle thérapeutique interdisciplinaire à un modèle multidisciplinaire interactif dans un contexte institutionnel sollicitant les échanges et la créativité.

Les étapes vers des ateliers « psychomotricité-école » :
Très vite interpellé par l’importance des difficultés des enfants au niveau scolaire, un collègue enseignant me (c’est la psychomotricienne qui parle) fait part de ses observations en classe. Feuilles de pré-écriture à l’appui, il constate que les enfants en âge d’apprendre à lire et à écrire sont dans l’incapacité d’effectuer les exercices demandés.
En effet, au niveau psychomoteur, les enfants présentent pour la plupart de grosses difficultés au niveau spatial. De ce manque d’intégration des repères dans l’espace et par rapport à leur corps, ils ne peuvent recopier une lettre, relier des pointillés et même pour certains relier un point à un autre. S’ajoutent à cette problématique des difficultés de motricité fine pour tenir le crayon et des problèmes d’orientation temporelle.
Une réflexion interdisciplinaire en dehors des réunions pluridisciplinaires est amorcée.
De cette réunion improvisée, s’organisent des exercices en psychomotricité où les points de repère dans l’espace vont être renforcés prioritairement afin qu’en classe, les élèves puissent progresser au niveau graphique. Des jeux pour travailler la dextérité manuelle sont effectués ainsi que des travaux de découpage et de coloriage. L’éducateur sportif est également sollicité, il réagit positivement aux échanges et stimule les repères dans l’espace.  
Les réflexions interdisciplinaires s’étendent à un petit groupe de travail et amène à des pratiques interdisciplinaires concertées. Elles ont des conséquences sur le contenu des ateliers d’école, de psychomotricité et de sport.
Par la suite, de ces stimulations au niveau spatial et corporel, les enfants ont développé leurs capacités pour représenter des lignes horizontales et verticales. Cependant, mon collègue instituteur constate que les courbes et les lignes croisées sont plus difficiles à dessiner. Devant les changements de trajectoires pour un même trait, les enfants ont besoin de beaucoup plus d’exercices et de variantes pour parvenir à apprendre ce qui est enseigné. De plus, d’un atelier à un autre, les enfants doivent pouvoir se souvenir de ce qui a été appris, ce qui n’est vraiment pas évident avec les enfants qui fréquentent notre service.
Les réunions « psychomot-école » nous conduisent à demander un changement d’horaire . L’institution soutien le projet qui est argumenté. Les ateliers sont encouragés et soutenus. La réflexion s’étend au pédopsychiatre (référent des enfants de ce groupe-là) et à la coordinatrice.
Le modèle devient interactif.
L’atelier de psychomotricité s’effectue dès lors juste avant l’atelier scolaire. Un thème commun est travaillé successivement avec le corps dans l’espace (stade du corps/du verbal), en fonction des objets (stade du manipulé) et puis en classe sur feuilles scolaires (niveau graphique). Le contenu des séances est préparé de manière globale pour les deux séances, dans une suite logique des apprentissages.
Après plusieurs semaines et différents groupes d’enfants, l’évaluation de cette façon de travailler est très positive. Il y a un impact évident sur les apprentissages, les enfants s’orientent mieux sur leur feuille et parviennent plus facilement à apprendre leurs lettres au niveau graphique. Cependant, pour certains, les liens entre les apprentissages en psychomotricité et l’école sont parfois difficiles à effectuer, d’une part à cause du temps de récréation vécu entre les deux ateliers et d’autre part, à cause de leur manque de capacité de structuration liée à leur pathologie psychiatrique.
Ainsi, les enfants atteints de psychose vivent souvent les événements, les espaces et le corps comme très « morcelés ». Le traitement vise à rendre une perception de « globalité » au corps, à mettre un fil conducteur au niveau psychique et à mettre des liens, là où ils n’en perçoivent pas ou peu.
Donc, une étape supplémentaire devait être franchie pour augmenter les liens entre les différents stades. Un nouveau changement d’horaire est demandé dans le sens d’une pratique conjointe sur le terrain en psychomotricité et à l’école.
Concrètement, l’enseignant va participer à la demi-heure de psychomotricité et je participerai à la demi-heure en classe, dans une co-animation où chacune des professions se complète l’une l’autre dans leurs champs spécifiques. Les séances sont préparées et pensées en concertation.
Le modèle est interactif sur le contenu des ateliers, et pratiqué en co-animation sur un temps commun en atelier « psychomot-école ».
Au fil du temps, les thèmes abordés se sont diversifiés car les enfants présentent également des difficultés d’intégration du schéma corporel et manquent de points de repère au niveau temporel. Les chiffres, les formes géométriques, la symétrie, la succession d’événements, des situations de mémoire auditive ou visuelle … sont des thèmes régulièrement abordés par le jeu.
Le modèle est soutenu par le pédopsychiatre de formation systémique qui vise à faire des liens entre les facettes du système thérapeutique, et surtout qui soutient l’intérêt des actions communes dans la thérapie institutionnelle.

Les étapes pour mettre en place des ateliers en psychomotricité avec parent(s) et enfant.
La démarche initiale de l’élaboration des ateliers avec parent(s) est la même que celle des ateliers de « psychomotricité-école ». Elle émerge aussi des réflexions et des observations entre intervenants.
Dans notre travail, nous portons bien sûr notre attention sur les parents et sur l’enfant via les symptômes présentés mais également sur ce qui concerne le quotidien en famille.
Fréquemment, en arrière-plan dans le discours des parents, se profilent des difficultés intrafamiliales. Les demandes d’aide - directes, masquées ou inconscientes -, s’énoncent ou apparaissent bien sûr aux entretiens de famille, mais aussi en paroles ou même en événements à l’accueil du matin ou du soir.
Dans notre service, les entretiens de famille restent l’outil thérapeutique utilisé pour toutes les familles accueillies mais pour certaines situations, la nécessité d’ateliers avec parent(s) est apparue comme nécessaire pour travailler et soutenir par la relation parent(s)-enfant, surtout pour les enfants les plus jeunes.
Les parents ont vite répondu positivement aux invitations de la pédopsychiatre référente du groupe des « petits » à venir avec elle en atelier de psychomotricité. La pédopsychiatre participe donc à l’atelier avec les parents et interagit pendant la séance de psychomotricité.
Le modèle thérapeutique avec les familles se veut interactif avec les parents pendant les ateliers. Ce modèle agit sur les faits, sur la relation elle-même et pas uniquement par le discours ramené dans les entretiens de famille.
Le modèle entre intervenants change. Il faut agir ensemble, dans un modèle de co-intervention sur le terrain et en fonction des événements vécus.
Tout comme dans les ateliers de « psychomot-école », des duos de professionnels se mettent en place. Il peut s’agir d’un duo « psychomot-pédopsychiatre », « psychomot-psychologue », « psychomot-éducateur(trice) », « psychomot-coordinatrice » ou « psychomot-infirmière », selon la situation, les besoins de l’enfant et de sa famille.
Le rôle des deux intervenants est d’aider, soutenir, guider et mettre du lien en mots, des médiats…mais aussi pour mettre un arrêt, décoller les « collages », interdire, expliquer, bref, accompagner vers un « mieux-être ensemble ».
Le modèle est  interactif ; tout membre de l’équipe est susceptible d’être sollicité. Il bénéficie ainsi des qualités de plusieurs professions qui perçoivent l’enfant et sa famille sous différents aspects.
Ce modèle d’intervention est soutenu par chacun des membres de l’équipe en réflexion et en action, dans un profond respect de la spécificité des professions et des compétences de chacun.
Au fil du temps, les ateliers avec parent(s) se passent essentiellement avec la psychomotricienne et le psychologue de référence qui fait le lien avec les entretiens de famille.
Les professions à versant « psy » prennent part sur le terrain et avec leur corps dans l’atelier. Nous nous situons au carrefour « psy et motricité ».
Sur le plan théorique, le modèle est fort soutenu par la pédopsychiatre qui est de référence psychodynamique. Une intervision hebdomadaire alimente les réflexions sur les troubles de l’attachement, les angoisses primitives, les pertes de contenance physique et psychique, etc. Des liens entre la théorie et la pratique en atelier sont fréquemment effectués.

Au fil du temps, les réponses aux besoins observés chez les enfants et leurs familles ont évolué.
En ce qui concerne les ateliers « psychomot-école », il s’agit d’un processus en différentes étapes qui a conduit à un modèle interactif sur un temps commun d’atelier. Ceci permet d’établir des liens entre les différentes étapes d’intégration et d’apprentissage : du corps/spatial, au stade manipulé vers le stade du graphisme/symbolisation.
Quant aux ateliers « parent(s)-enfant », la co-intervention s’est d’emblée mise en place. La spécificité de ces co-interventions est que chacune des professions aide et participe « sur le terrain de l’autre » avec sa formation de base pour apporter un plus à l’enfant et à sa famille et pour induire des changements positifs à partir d’événements concrets, dans un but de soutien direct au lien parent(s)-enfant.
Dans le respect des frontières entre chaque profession, les échanges entre intervenants alimentent le modèle qui est devenu interactif et créatif. Il s’étend à d’autres ateliers par les élans de l’équipe. Il est soutenu par l’institution en termes de réflexions, de moyens et d’aménagements horaires.
Comme vous allez le voir, tout ceci n’est pas sans rapport avec les conditions qui ont permis l’écriture collective d’un livre.

UNE AVENTURE LITTERAIRE QUI A MIS LE KAPP DANS TOUS SES ETATS…

Avant
Tout a commencé en 2008 lors d’une journée institutionnelle.
Une question avait été posée à l’équipe : «  Et si on écrivait un livre, quel en serait le titre ? » et les idées ont fusé selon la personnalité de chacun : « Le KaPP décape », « Ensemble séparément », « Le KaPP dans tous ses états », « Au-delà des illusions », « KaPP…itaine, à l’abordage », « Psychothérapie institutionnelle d’enfants… »
Les titres recueillis sont restés un temps en suspens, mais ils ont bien trotté dans la tête d’un homme…
Philippe Kinoo, décidé d’écrire ce livre, souhaitait qu’il y ait une trace du travail de l’équipe. Bien sûr, quelques articles avaient déjà été publiés, mais l’idée d’écrire un livre ensemble, de témoigner par écrit des multiples facettes du travail était un merveilleux défi à relever. De plus, les dix ans du KaPP pointaient à l’horizon, et ce livre-là en serait le point d’orgue.

Du côté de l’équipe, la grande question était : « Pourquoi Philippe Kinoo veut-il écrire un livre avec nous tous? » Lors d’une énième fois où le sujet est abordé, Philippe nous livre enfin des arguments qui font mouche auprès de nous : son envie de laisser une trace collective de notre travail, le désir que nous écrivions ensemble, de la même manière que tous nous mettons au quotidien notre énergie dans le travail au KaPP, dans la vie de l’équipe. Il nous parle aussi de sa certitude que ce que nous faisons, nous le faisons bien, et que ce modèle vaut la peine d’être mis sur papier pour le partager… Nous sommes perplexes mais très intéressés.

Un comité de rédaction, composé de quatre personnes, s’est mis en place.
Nous savions que le livre parlerait de la psychothérapie institutionnelle d’enfants, des ateliers, des dispositifs et des pratiques, mais la grande question était : « Comment allions-nous procéder pour mettre tout cela par écrit ? »
Nous avons suivi une formation au cours de laquelle la réflexion s’est portée sur les objectifs et le cadre du projet.

Pendant que le comité de rédaction avance de son côté, nous, l’équipe, nous nous interrogeons sur ce que nous voulons dire et écrire dans ce livre. Quel est le public que l’on vise ? Que veut-on dire de nos pratiques ?… Les sujets et les thèmes sont flous.

Dans un premier temps, nous avions décidé de procéder à des interviews enregistrés. Pour ce faire, nous avons élaboré une série de questions.
Nous avons interviewé Philippe au sujet de la psychothérapie institutionnelle d’enfants. Le texte a été retranscrit, relu par son auteur, retravaillé et encore retravaillé. Ce fut là le premier texte écrit, déposé dans une farde à la disposition de l’équipe.
D’autres rendez-vous furent pris, les interviews pouvaient commencer…
Mais très vite, les collègues ont souhaité écrire plutôt que dire. Cependant, l’écriture restait difficile.
Le comité se réunit régulièrement, cherche des pistes pour débloquer l’acte d’écrire.
Quelques textes arrivent, avec peine, ils sont descriptifs, écrits avec peur et pudeur.
Ces écrits sont consignés dans une farde, mais peu de collègues les lisent.
En effet, les premières écritures ne sont pas faciles : nous avons l’impression que nos textes sont trop techniques, peu chaleureux, froids et mécaniques, qu’ils manquent de vie, à l’opposé de ce qui fait nos journées ! Pourtant, nous savons à présent ce sur quoi nous voulons écrire mais la question devient : Comment l’écrire ? Sommes-nous compétents pour ça ?

Dans le but de déclencher un processus d’écriture commune, nous faisons appel à Réjane Peigny - une animatrice d’ateliers d’écriture - qui, lors d’une journée institutionnelle, met toute l’équipe dans un bain d’écriture. Nous nous jetons tous à l’eau. La première partie de la journée est consacrée à des consignes d’échauffement. L’après-midi, répartis en petits groupes, nous avons démarré concrètement la mise en mots de notre pratique.
A la fin de cette journée, chacun se sent prêt à oser mettre par écrit ses pratiques, ses idées, ses doutes…
Et ça démarre….

On nous a proposé de jouer avec les mots, de désacraliser l’écriture. Chacun s’est pris au jeu, avec plus ou moins de plaisir mais dans une ambiance détendue. Cette journée de travail d’écriture a permis au final à chaque personne de l’équipe de trouver une place sur mesure dans le projet d’écriture du livre, de constituer des duos ou des trios d’écriture.

Pendant
Chaque membre de l’équipe a dès lors décidé de ce dont il va parler dans le livre.
Les sujets sont rassemblés par le comité qui se répartit les tâches pour soutenir chacun dans ce travail d’écriture.
Le temps d’écrire sera pris en dehors des heures de travail : à la terrasse d’un café, dans une pièce isolée, sur un coin de table, dans la cuisine, sur un sentier, sur un banc…
Certains écriront seuls, d’autres en groupe, d’autres encore avec le soutien d’un des membres du comité de rédaction (« l’accoucheuse de textes », comme nous la surnommerons).
L’équipe est en mouvement.

En effet, l’écriture d’un texte puis sa lecture par ses collègues, amène des remarques, des interrogations, des surprises ! Cela nous offre une prise de recul sur notre pratique, un nouveau regard. Cela se fait plutôt sereinement, dans l’entraide. Cette étape est possible dans cette bonne ambiance sans doute aussi parce qu’auparavant, nous avions l’habitude de séances de supervision d’équipe où les rôles et fonctions de chacun sont abordés, où des tensions ont été parlées et travaillées, où les interactions entre nous sont renforcées. Au cours de la phase d’écriture, il y a eu très peu de moments d’écriture solitaire.

Les textes arrivent, ils sont l’offrande de ce que chaque auteur a expérimenté lui-même avec des retours en arrière, en faisant résonner des mots d’enfants, en laissant émerger ses inquiétudes, ses émotions…
Les écrits remplissent la farde, ils sont lus par le comité, retravaillés avec l’auteur, puis envoyés à Réjane qui en fait une « révision littéraire ». Chaque texte commenté est à nouveau retravaillé par l’auteur.
Le résultat est au-delà de nos espérances : le manuscrit est accepté – sans aucune demande de correction - aux éditions Erès, spécialisées dans le secteur psycho-social.

Le manuscrit est déposé sur une table au centre du cercle lors d’une réunion d’équipe. Il est là ! On a du mal à réaliser mais l’équipe est fière, le challenge est réussi ! Nous réalisons le chemin parcouru pour réussir à écrire, avec les mots de chacun. De même qu’au KaPP les cadres n’ont jamais eu la volonté d’imposer un contenu d’atelier, lors de l’écriture du livre, ils n’ont jamais imposé ou décidé d’un contenu de texte, d’un thème… Chacun a pu proposer ses idées au comité et à l’ensemble de l’équipe. Le modèle qui a permis d’écrire rejoint celui qui nous permet de travailler chaque jour : chacun doit se sentir libre et créateur dans son rôle et sa fonction à l’intérieur du cadre de l’institution.

Et c’est ainsi que le 25 mai 2012, lors de la journée d’étude du dixième anniversaire, on pouvait voir, toucher avec fierté notre livre avec une superbe couverture dessinée par les jeunes de l’institution.

Après
Ce travail a été possible parce qu’il y avait déjà un esprit d’équipe, et l’écriture commune a renforcé le sentiment d’appartenance. La liberté et la créativité étaient déjà présentes dans l’équipe et pour chacun. Nous avions l’expérience du travail interactif. Et le cadre, notre structure,  était solide.
Partager notre expérience en témoignant par écrit des multiples facettes de notre travail, témoigner de nos pratiques en y parlant de nos doutes, nos questionnements, nos difficultés, fut libératoire.

Nous avons pris du plaisir à lire les textes des uns et des autres et avons pris conscience plus que jamais que nos différences sont complémentaires, qu’elles permettent de faire un travail cohérent.

Jean Van Hemelrijck écrit dans l’avant-propos de notre livre : « Ce travail d’écriture (…) raconte cet engagement, l’audace et la prudence d’un petit groupe d’hommes qui tente un petit quelque chose. Au risque du paradoxe, il propose de saisir l’inachevé et l’insaisissable »

Inachevé,… car tout reste à faire, la pensée chemine, le soin se poursuit. L’écriture de ce livre n’est pas le témoignage d’une pratique figée. Notre pratique continue d’évoluer, notre modèle thérapeutique a déjà changé. À peine l’objet livre en main, nous nous rendons compte que certaines choses ont déjà changé, que d’autres se sont étoffées. Le projet d’un second livre commence à germer dans l’esprit de quelques-uns…
.

Insaisissable,… car le côté poétique, humain, est palpable dans des mots écrits, mais pourtant pas dans les mêmes proportions que ce que le vécu, l’échange réel et la pratique sur le terrain au quotidien permettent. Dans notre modèle, ce qui nous permet chaque jour d’être thérapeutique et ce qui a rendu l’écriture possible, c’est le travail d’une équipe 100% engagée, avec des styles différents, mais investie dans un même objectif, avec liberté et créativité, structure et interactivité.
 
Bibliographie


Kinoo Ph (sous la direction de), Psychothérapie institutionnelle d’enfants. L’expérience du KaPP. Coll. Empan. Ed. Erès, 2012.

Meynckens M., Vander Borght C., Kinoo Ph., Eduquer et soigner en équipe. Manuel de pratiques institutionnelles. Coll. Carrefour des psychothérapies, Editions De Boeck, 2011
INTRODUCTION

Belmahjoubi Hicham, Billion Jocelyne, Blondiau Charles-Emmanuel, Brice Anne-Christina, Casimir Nathalie, Charlier Dominique, Colard Séverine, Delépine Arthur, Di Salvo Marie-Rose, Durdu Olivier, El Hamidi Sara, Elakel Seloua, Gaudoux Valérie, Haouari-Chougrati Hafida, Jamoulle Carine, Kinoo Philippe, Lambelé Christine, Lefèvre Marianne, Malevez Bruno, Mathot Cécile, Mathy Anne, Padovano Nardino, Pereira Anabela, Savéant Claire, Sohy Stéphanie, Van den Broeck Danièle, Verdys Céline.
Toutes ces personnes ont participé volontairement à l’écriture d’un livre sur leur pratique professionnelle commune. Comment cela s’est-il passé, et pourquoi cela a-t-il été possible ?

Un mot sur le cadre.
Le KaPP accueille vingt-cinq enfants entre un et treize ans, répartis en quatre groupes (sept "petits", six "moyens", sept "grands" et cinq enfants atteints d'autisme). L'essentiel du travail se fait en ateliers, animés par les éducateurs, les enseignants, la  psychomotricienne, la logopède, l’animateur sportif, l’animatrice de l’atelier créatif. Participent aussi au travail l’infirmière, l’aide-soignante, les deux assistantes sociales, la coordinatrice, le secrétaire, les deux psychologues, les deux médecins.
Les psychologues proposent des entretiens individuels, orientés par la psychanalyse, et font des « bilans », avec des tests projectifs et des examens cognitifs.
Des entretiens avec les parents sont assurés par le médecin pédopsychiatre et le psychologue référent en associant, selon les besoins ou la demande, l'éducateur ou l'assistante sociale référente ou une autre compétence de l'équipe. Le travail avec les familles est d'orientation systémique.
Plus largement, les activités et la vie quotidienne se réfèrent à la psychothérapie institutionnelle – adaptée aux enfants -, ensemble de dispositifs où les médiats thérapeutiques servent de base à la construction du travail relationnel des enfants entre eux et des enfants avec les adultes, et visent un développement « global » de l’enfant .
Ayant toujours veillé à travailler en collaboration avec les parents, outre les entretiens avec eux, nous soignons l’accueil, matin et soir, qui leur est destiné et tout naturellement nous est venue l'idée d'ouvrir certains ateliers constituant la trame de la psychothérapie institutionnelle, aux parents eux-mêmes. Ce sera la première partie du développement de cet article qui tente de décrire comment écrire un livre en équipe.

Pour illustrer, au moins partiellement, ce que nous avons voulu transmettre, voici donc deux ateliers pratiqués au KaPP, et qui sont décrits dans le livre. Et en même temps, on pourra apercevoir en filigrane certains éléments qui deviendront les ingrédients de notre écriture collective.

DE L’INTERDISCIPLINAIRE A L’INTERACTIF CREATIF EN PSYCHOMOTRICITE AU SEIN D’UNE EQUIPE MULTIDISCIPLINAIRE

Tiré du livre rédigé par l’équipe de notre service de pédopsychiatrie, le KaPP, voici le témoignage de deux ateliers de psychomotricité particuliers : l’atelier de « psychomotricité-école » et les ateliers « parent(s)-enfant ».

Nous ne traiterons pas ici du contenu ni de la structure de ces ateliers, mais du processus, des différentes étapes qui nous ont conduits à la forme actuelle de ces ateliers. Il s’agit d’une évolution d’un modèle thérapeutique interdisciplinaire à un modèle multidisciplinaire interactif dans un contexte institutionnel sollicitant les échanges et la créativité.

Les étapes vers des ateliers « psychomotricité-école » :
Très vite interpellé par l’importance des difficultés des enfants au niveau scolaire, un collègue enseignant me (c’est la psychomotricienne qui parle) fait part de ses observations en classe. Feuilles de pré-écriture à l’appui, il constate que les enfants en âge d’apprendre à lire et à écrire sont dans l’incapacité d’effectuer les exercices demandés.
En effet, au niveau psychomoteur, les enfants présentent pour la plupart de grosses difficultés au niveau spatial. De ce manque d’intégration des repères dans l’espace et par rapport à leur corps, ils ne peuvent recopier une lettre, relier des pointillés et même pour certains relier un point à un autre. S’ajoutent à cette problématique des difficultés de motricité fine pour tenir le crayon et des problèmes d’orientation temporelle.
Une réflexion interdisciplinaire en dehors des réunions pluridisciplinaires est amorcée.
De cette réunion improvisée, s’organisent des exercices en psychomotricité où les points de repère dans l’espace vont être renforcés prioritairement afin qu’en classe, les élèves puissent progresser au niveau graphique. Des jeux pour travailler la dextérité manuelle sont effectués ainsi que des travaux de découpage et de coloriage. L’éducateur sportif est également sollicité, il réagit positivement aux échanges et stimule les repères dans l’espace.  
Les réflexions interdisciplinaires s’étendent à un petit groupe de travail et amène à des pratiques interdisciplinaires concertées. Elles ont des conséquences sur le contenu des ateliers d’école, de psychomotricité et de sport.
Par la suite, de ces stimulations au niveau spatial et corporel, les enfants ont développé leurs capacités pour représenter des lignes horizontales et verticales. Cependant, mon collègue instituteur constate que les courbes et les lignes croisées sont plus difficiles à dessiner. Devant les changements de trajectoires pour un même trait, les enfants ont besoin de beaucoup plus d’exercices et de variantes pour parvenir à apprendre ce qui est enseigné. De plus, d’un atelier à un autre, les enfants doivent pouvoir se souvenir de ce qui a été appris, ce qui n’est vraiment pas évident avec les enfants qui fréquentent notre service.
Les réunions « psychomot-école » nous conduisent à demander un changement d’horaire . L’institution soutien le projet qui est argumenté. Les ateliers sont encouragés et soutenus. La réflexion s’étend au pédopsychiatre (référent des enfants de ce groupe-là) et à la coordinatrice.
Le modèle devient interactif.
L’atelier de psychomotricité s’effectue dès lors juste avant l’atelier scolaire. Un thème commun est travaillé successivement avec le corps dans l’espace (stade du corps/du verbal), en fonction des objets (stade du manipulé) et puis en classe sur feuilles scolaires (niveau graphique). Le contenu des séances est préparé de manière globale pour les deux séances, dans une suite logique des apprentissages.
Après plusieurs semaines et différents groupes d’enfants, l’évaluation de cette façon de travailler est très positive. Il y a un impact évident sur les apprentissages, les enfants s’orientent mieux sur leur feuille et parviennent plus facilement à apprendre leurs lettres au niveau graphique. Cependant, pour certains, les liens entre les apprentissages en psychomotricité et l’école sont parfois difficiles à effectuer, d’une part à cause du temps de récréation vécu entre les deux ateliers et d’autre part, à cause de leur manque de capacité de structuration liée à leur pathologie psychiatrique.
Ainsi, les enfants atteints de psychose vivent souvent les événements, les espaces et le corps comme très « morcelés ». Le traitement vise à rendre une perception de « globalité » au corps, à mettre un fil conducteur au niveau psychique et à mettre des liens, là où ils n’en perçoivent pas ou peu.
Donc, une étape supplémentaire devait être franchie pour augmenter les liens entre les différents stades. Un nouveau changement d’horaire est demandé dans le sens d’une pratique conjointe sur le terrain en psychomotricité et à l’école.
Concrètement, l’enseignant va participer à la demi-heure de psychomotricité et je participerai à la demi-heure en classe, dans une co-animation où chacune des professions se complète l’une l’autre dans leurs champs spécifiques. Les séances sont préparées et pensées en concertation.
Le modèle est interactif sur le contenu des ateliers, et pratiqué en co-animation sur un temps commun en atelier « psychomot-école ».
Au fil du temps, les thèmes abordés se sont diversifiés car les enfants présentent également des difficultés d’intégration du schéma corporel et manquent de points de repère au niveau temporel. Les chiffres, les formes géométriques, la symétrie, la succession d’événements, des situations de mémoire auditive ou visuelle … sont des thèmes régulièrement abordés par le jeu.
Le modèle est soutenu par le pédopsychiatre de formation systémique qui vise à faire des liens entre les facettes du système thérapeutique, et surtout qui soutient l’intérêt des actions communes dans la thérapie institutionnelle.

Les étapes pour mettre en place des ateliers en psychomotricité avec parent(s) et enfant.
La démarche initiale de l’élaboration des ateliers avec parent(s) est la même que celle des ateliers de « psychomotricité-école ». Elle émerge aussi des réflexions et des observations entre intervenants.
Dans notre travail, nous portons bien sûr notre attention sur les parents et sur l’enfant via les symptômes présentés mais également sur ce qui concerne le quotidien en famille.
Fréquemment, en arrière-plan dans le discours des parents, se profilent des difficultés intrafamiliales. Les demandes d’aide - directes, masquées ou inconscientes -, s’énoncent ou apparaissent bien sûr aux entretiens de famille, mais aussi en paroles ou même en événements à l’accueil du matin ou du soir.
Dans notre service, les entretiens de famille restent l’outil thérapeutique utilisé pour toutes les familles accueillies mais pour certaines situations, la nécessité d’ateliers avec parent(s) est apparue comme nécessaire pour travailler et soutenir par la relation parent(s)-enfant, surtout pour les enfants les plus jeunes.
Les parents ont vite répondu positivement aux invitations de la pédopsychiatre référente du groupe des « petits » à venir avec elle en atelier de psychomotricité. La pédopsychiatre participe donc à l’atelier avec les parents et interagit pendant la séance de psychomotricité.
Le modèle thérapeutique avec les familles se veut interactif avec les parents pendant les ateliers. Ce modèle agit sur les faits, sur la relation elle-même et pas uniquement par le discours ramené dans les entretiens de famille.
Le modèle entre intervenants change. Il faut agir ensemble, dans un modèle de co-intervention sur le terrain et en fonction des événements vécus.
Tout comme dans les ateliers de « psychomot-école », des duos de professionnels se mettent en place. Il peut s’agir d’un duo « psychomot-pédopsychiatre », « psychomot-psychologue », « psychomot-éducateur(trice) », « psychomot-coordinatrice » ou « psychomot-infirmière », selon la situation, les besoins de l’enfant et de sa famille.
Le rôle des deux intervenants est d’aider, soutenir, guider et mettre du lien en mots, des médiats…mais aussi pour mettre un arrêt, décoller les « collages », interdire, expliquer, bref, accompagner vers un « mieux-être ensemble ».
Le modèle est  interactif ; tout membre de l’équipe est susceptible d’être sollicité. Il bénéficie ainsi des qualités de plusieurs professions qui perçoivent l’enfant et sa famille sous différents aspects.
Ce modèle d’intervention est soutenu par chacun des membres de l’équipe en réflexion et en action, dans un profond respect de la spécificité des professions et des compétences de chacun.
Au fil du temps, les ateliers avec parent(s) se passent essentiellement avec la psychomotricienne et le psychologue de référence qui fait le lien avec les entretiens de famille.
Les professions à versant « psy » prennent part sur le terrain et avec leur corps dans l’atelier. Nous nous situons au carrefour « psy et motricité ».
Sur le plan théorique, le modèle est fort soutenu par la pédopsychiatre qui est de référence psychodynamique. Une intervision hebdomadaire alimente les réflexions sur les troubles de l’attachement, les angoisses primitives, les pertes de contenance physique et psychique, etc. Des liens entre la théorie et la pratique en atelier sont fréquemment effectués.

Au fil du temps, les réponses aux besoins observés chez les enfants et leurs familles ont évolué.
En ce qui concerne les ateliers « psychomot-école », il s’agit d’un processus en différentes étapes qui a conduit à un modèle interactif sur un temps commun d’atelier. Ceci permet d’établir des liens entre les différentes étapes d’intégration et d’apprentissage : du corps/spatial, au stade manipulé vers le stade du graphisme/symbolisation.
Quant aux ateliers « parent(s)-enfant », la co-intervention s’est d’emblée mise en place. La spécificité de ces co-interventions est que chacune des professions aide et participe « sur le terrain de l’autre » avec sa formation de base pour apporter un plus à l’enfant et à sa famille et pour induire des changements positifs à partir d’événements concrets, dans un but de soutien direct au lien parent(s)-enfant.
Dans le respect des frontières entre chaque profession, les échanges entre intervenants alimentent le modèle qui est devenu interactif et créatif. Il s’étend à d’autres ateliers par les élans de l’équipe. Il est soutenu par l’institution en termes de réflexions, de moyens et d’aménagements horaires.
Comme vous allez le voir, tout ceci n’est pas sans rapport avec les conditions qui ont permis l’écriture collective d’un livre.

UNE AVENTURE LITTERAIRE QUI A MIS LE KAPP DANS TOUS SES ETATS…

Avant
Tout a commencé en 2008 lors d’une journée institutionnelle.
Une question avait été posée à l’équipe : «  Et si on écrivait un livre, quel en serait le titre ? » et les idées ont fusé selon la personnalité de chacun : « Le KaPP décape », « Ensemble séparément », « Le KaPP dans tous ses états », « Au-delà des illusions », « KaPP…itaine, à l’abordage », « Psychothérapie institutionnelle d’enfants… »
Les titres recueillis sont restés un temps en suspens, mais ils ont bien trotté dans la tête d’un homme…
Philippe Kinoo, décidé d’écrire ce livre, souhaitait qu’il y ait une trace du travail de l’équipe. Bien sûr, quelques articles avaient déjà été publiés, mais l’idée d’écrire un livre ensemble, de témoigner par écrit des multiples facettes du travail était un merveilleux défi à relever. De plus, les dix ans du KaPP pointaient à l’horizon, et ce livre-là en serait le point d’orgue.

Du côté de l’équipe, la grande question était : « Pourquoi Philippe Kinoo veut-il écrire un livre avec nous tous? » Lors d’une énième fois où le sujet est abordé, Philippe nous livre enfin des arguments qui font mouche auprès de nous : son envie de laisser une trace collective de notre travail, le désir que nous écrivions ensemble, de la même manière que tous nous mettons au quotidien notre énergie dans le travail au KaPP, dans la vie de l’équipe. Il nous parle aussi de sa certitude que ce que nous faisons, nous le faisons bien, et que ce modèle vaut la peine d’être mis sur papier pour le partager… Nous sommes perplexes mais très intéressés.

Un comité de rédaction, composé de quatre personnes, s’est mis en place.
Nous savions que le livre parlerait de la psychothérapie institutionnelle d’enfants, des ateliers, des dispositifs et des pratiques, mais la grande question était : « Comment allions-nous procéder pour mettre tout cela par écrit ? »
Nous avons suivi une formation au cours de laquelle la réflexion s’est portée sur les objectifs et le cadre du projet.

Pendant que le comité de rédaction avance de son côté, nous, l’équipe, nous nous interrogeons sur ce que nous voulons dire et écrire dans ce livre. Quel est le public que l’on vise ? Que veut-on dire de nos pratiques ?… Les sujets et les thèmes sont flous.

Dans un premier temps, nous avions décidé de procéder à des interviews enregistrés. Pour ce faire, nous avons élaboré une série de questions.
Nous avons interviewé Philippe au sujet de la psychothérapie institutionnelle d’enfants. Le texte a été retranscrit, relu par son auteur, retravaillé et encore retravaillé. Ce fut là le premier texte écrit, déposé dans une farde à la disposition de l’équipe.
D’autres rendez-vous furent pris, les interviews pouvaient commencer…
Mais très vite, les collègues ont souhaité écrire plutôt que dire. Cependant, l’écriture restait difficile.
Le comité se réunit régulièrement, cherche des pistes pour débloquer l’acte d’écrire.
Quelques textes arrivent, avec peine, ils sont descriptifs, écrits avec peur et pudeur.
Ces écrits sont consignés dans une farde, mais peu de collègues les lisent.
En effet, les premières écritures ne sont pas faciles : nous avons l’impression que nos textes sont trop techniques, peu chaleureux, froids et mécaniques, qu’ils manquent de vie, à l’opposé de ce qui fait nos journées ! Pourtant, nous savons à présent ce sur quoi nous voulons écrire mais la question devient : Comment l’écrire ? Sommes-nous compétents pour ça ?

Dans le but de déclencher un processus d’écriture commune, nous faisons appel à Réjane Peigny - une animatrice d’ateliers d’écriture - qui, lors d’une journée institutionnelle, met toute l’équipe dans un bain d’écriture. Nous nous jetons tous à l’eau. La première partie de la journée est consacrée à des consignes d’échauffement. L’après-midi, répartis en petits groupes, nous avons démarré concrètement la mise en mots de notre pratique.
A la fin de cette journée, chacun se sent prêt à oser mettre par écrit ses pratiques, ses idées, ses doutes…
Et ça démarre….

On nous a proposé de jouer avec les mots, de désacraliser l’écriture. Chacun s’est pris au jeu, avec plus ou moins de plaisir mais dans une ambiance détendue. Cette journée de travail d’écriture a permis au final à chaque personne de l’équipe de trouver une place sur mesure dans le projet d’écriture du livre, de constituer des duos ou des trios d’écriture.

Pendant
Chaque membre de l’équipe a dès lors décidé de ce dont il va parler dans le livre.
Les sujets sont rassemblés par le comité qui se répartit les tâches pour soutenir chacun dans ce travail d’écriture.
Le temps d’écrire sera pris en dehors des heures de travail : à la terrasse d’un café, dans une pièce isolée, sur un coin de table, dans la cuisine, sur un sentier, sur un banc…
Certains écriront seuls, d’autres en groupe, d’autres encore avec le soutien d’un des membres du comité de rédaction (« l’accoucheuse de textes », comme nous la surnommerons).
L’équipe est en mouvement.

En effet, l’écriture d’un texte puis sa lecture par ses collègues, amène des remarques, des interrogations, des surprises ! Cela nous offre une prise de recul sur notre pratique, un nouveau regard. Cela se fait plutôt sereinement, dans l’entraide. Cette étape est possible dans cette bonne ambiance sans doute aussi parce qu’auparavant, nous avions l’habitude de séances de supervision d’équipe où les rôles et fonctions de chacun sont abordés, où des tensions ont été parlées et travaillées, où les interactions entre nous sont renforcées. Au cours de la phase d’écriture, il y a eu très peu de moments d’écriture solitaire.

Les textes arrivent, ils sont l’offrande de ce que chaque auteur a expérimenté lui-même avec des retours en arrière, en faisant résonner des mots d’enfants, en laissant émerger ses inquiétudes, ses émotions…
Les écrits remplissent la farde, ils sont lus par le comité, retravaillés avec l’auteur, puis envoyés à Réjane qui en fait une « révision littéraire ». Chaque texte commenté est à nouveau retravaillé par l’auteur.
Le résultat est au-delà de nos espérances : le manuscrit est accepté – sans aucune demande de correction - aux éditions Erès, spécialisées dans le secteur psycho-social.

Le manuscrit est déposé sur une table au centre du cercle lors d’une réunion d’équipe. Il est là ! On a du mal à réaliser mais l’équipe est fière, le challenge est réussi ! Nous réalisons le chemin parcouru pour réussir à écrire, avec les mots de chacun. De même qu’au KaPP les cadres n’ont jamais eu la volonté d’imposer un contenu d’atelier, lors de l’écriture du livre, ils n’ont jamais imposé ou décidé d’un contenu de texte, d’un thème… Chacun a pu proposer ses idées au comité et à l’ensemble de l’équipe. Le modèle qui a permis d’écrire rejoint celui qui nous permet de travailler chaque jour : chacun doit se sentir libre et créateur dans son rôle et sa fonction à l’intérieur du cadre de l’institution.

Et c’est ainsi que le 25 mai 2012, lors de la journée d’étude du dixième anniversaire, on pouvait voir, toucher avec fierté notre livre avec une superbe couverture dessinée par les jeunes de l’institution.

Après
Ce travail a été possible parce qu’il y avait déjà un esprit d’équipe, et l’écriture commune a renforcé le sentiment d’appartenance. La liberté et la créativité étaient déjà présentes dans l’équipe et pour chacun. Nous avions l’expérience du travail interactif. Et le cadre, notre structure,  était solide.
Partager notre expérience en témoignant par écrit des multiples facettes de notre travail, témoigner de nos pratiques en y parlant de nos doutes, nos questionnements, nos difficultés, fut libératoire.

Nous avons pris du plaisir à lire les textes des uns et des autres et avons pris conscience plus que jamais que nos différences sont complémentaires, qu’elles permettent de faire un travail cohérent.

Jean Van Hemelrijck écrit dans l’avant-propos de notre livre : « Ce travail d’écriture (…) raconte cet engagement, l’audace et la prudence d’un petit groupe d’hommes qui tente un petit quelque chose. Au risque du paradoxe, il propose de saisir l’inachevé et l’insaisissable »

Inachevé,… car tout reste à faire, la pensée chemine, le soin se poursuit. L’écriture de ce livre n’est pas le témoignage d’une pratique figée. Notre pratique continue d’évoluer, notre modèle thérapeutique a déjà changé. À peine l’objet livre en main, nous nous rendons compte que certaines choses ont déjà changé, que d’autres se sont étoffées. Le projet d’un second livre commence à germer dans l’esprit de quelques-uns…

Insaisissable,… car le côté poétique, humain, est palpable dans des mots écrits, mais pourtant pas dans les mêmes proportions que ce que le vécu, l’échange réel et la pratique sur le terrain au quotidien permettent. Dans notre modèle, ce qui nous permet chaque jour d’être thérapeutique et ce qui a rendu l’écriture possible, c’est le travail d’une équipe 100% engagée, avec des styles différents, mais investie dans un même objectif, avec liberté et créativité, structure et interactivité.
 
Bibliographie


Kinoo Ph (sous la direction de), Psychothérapie institutionnelle d’enfants. L’expérience du KaPP. Coll. Empan. Ed. Erès, 2012.

Meynckens M., Vander Borght C., Kinoo Ph., Eduquer et soigner en équipe. Manuel de pratiques institutionnelles. Coll. Carrefour des psychothérapies, Editions De Boeck, 2011