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Psychiatre infanto-juvénile et psychothérapeute.

Psychothérapie institutionnelle et formation interne

Ph. Kinoo, E. Kpadonou (2007), Psychothérapie institutionnelle et formation interne, Enfances/Adolescences, n° 12, 2007/2.

 

Cadre de travail

Je travaille dans un hôpital de jour pédopsychiatrique, où sont accueillis 25 enfants de 0 à 13 ans.

L'essentiel du fonctionnement est en centre de jour, mais cinq enfants peuvent être hospitalisés à temps complet; ils "dorment" dans le service de pédiatrie des Cliniques, où un éducateur les prend en charge dès 7 h le matin, et les accompagne le soir entre 17 et 22 h (ou plus s'il y a des problèmes d'angoisses, de troubles du comportement,…).

Environ la moitié des enfants est dans notre centre pour un "long terme": un à deux ans (enfants psychotiques, jeunes enfants autistes); les autres sont des situations "moyen terme" (troubles psychosomatiques, anorexies, troubles du comportement, phobies…) et des urgences (maltraitance, décompensation individuelle ou familiale,…) ou des "bilans d'observation/action" (mise au point diagnostique et thérapeutique lors d'un séjour de trois semaines dans des situations plus particulièrement complexes ou compliquées: cela se fait habituellement lorsque des prises en charge ambulatoires ou résidentielles, déjà en place, se sentent dans l'impasse ou débordés par la problématique).

Concrètement, voici une brève présentation de l'équipe.

•    Nous avons 8 éducateurs, qui gèrent la vie quotidienne du groupe d'enfants (levers, couchers, repas et autres moments "interstitiels", animent certains ateliers (musique, rythme, informatique, théâtre, jeux,…) et accompagnent les enfants dans des démarches spécifiques (rencontre du juge de la jeunesse, visite d'un parent en prison,…).
•    Une infirmière veille à la coordination des soins physiques et à la prise en charge des troubles alimentaires (beaucoup de jeunes enfants entre 2-3 mois et 3 ans nous sont envoyés par les pédiatres pour des conduites anorexiques).
•    Un aide-soignant veille à l'aide au repas, à l'hygiène, aux petits soins.
•    Une kinésiste-psychomotricienne anime l'atelier psychomotricité, et fait des bilans de développement psychomoteur.
•    Une logopède fait de même pour la logopédie.
•    Un animateur "sportif" coordonne les activités sportives internes et externes.
•    Trois enseignants – à temps partiel – animent les ateliers-classes et font les bilans au niveau scolaire.
•    Un "artiste" anime l'atelier créatif.
•    Deux psychologues font des suivis psychothérapeutiques individuels, des bilans intellectuels, cognitifs et affectifs, participent régulièrement aux entretiens de famille. L'un des deux anime un atelier-conte, en coanimation avec l'artiste qui propose des outils d'expression après le récit.
•    Deux assistants sociaux coordonnent les démarches extérieures, le travail avec le réseau (juges, services sociaux, école,…) et soutiennent certaines familles dans bien des domaines.
•    Les deux médecins pédopsychiatres coordonnent les programmes thérapeutiques, et le travail avec les familles.
•    Une coordinatrice coordonne l'ensemble, avec le secrétaire,…

Base de la formation

Comment peut-on former une équipe aussi variée à un travail commun avec les enfants et les familles?

Avant de s'engager dans des formations, il y a d'abord à s'assurer qu'il y a préalablement une base commune, de bonnes fondations sur lesquelles construire les projets thérapeutiques d'une part, les formations d'autre part.

1. Dans notre service, cette base, ces fondations, c'est de penser le projet thérapeutique comme de la PSYCHOTHERAPIE INSTITUTIONNELLE, c'est-à-dire, penser toute activité, tout atelier, tout moment de la journée comme ayant une dimension thérapeutique.

2. Si toute activité et tout moment peut participer à la thérapie, il n'y a donc pas de hiérarchie dans les temps institutionnels, ni, corollairement, dans les fonctions institutionnelles.
Le temps de la récré ou du repas est aussi important que le temps de l'entretien psychologique individuel ou familial ou que l'atelier logopédique. Chaque membre de l'équipe a une responsabilité à assumer dans ces différents temps institutionnels, et, si chaque fonction est différente, l’importance de chacune d’elles doit être considérée comme égale.

3. Cette non-hiérarchie des fonctions ne doit pas, ne peut pas empêcher de mettre en place clairement le dispositif de direction de l'équipe et des projets thérapeutiques.
4. Il faut viser à l'engagement de personnes bien compétentes dans leur fonctions. Le processus fondamental de formation d'une équipe, en fait, c'est à mon avis surtout par l'échange de pratiques, ce qui demande, bien évidemment que chaque praticien soit préalablement bien formé pour la fonction principale qu'il a à assumer.

Si cette base
•    de thérapie institutionnelle,
•    de non hiérarchie des fonctions,
•    de clarté des modalités de direction
•    et de personnel compétent dans sa fonction
est assurée, l'équipe peut alors se former en bonne partie par les interactions entre les membres de l'équipe, en utilisant et échangeant les compétences de chacun. C'est ce que nous montrons dans la suite.

Deux exemples de dispositifs de travail "famille"

Voici deux exemples concernant le "travail famille" au KaPP:

•    l'accueil des parents (le matin et le soir),
•    et les ateliers avec parents.

Bien évidemment, il y a des entretiens de famille "classiques", où les parents, parfois avec les frères et sœurs, sont rencontrés par le médecin pédopsychiatre et/ou le psychologue, avec, éventuellement, un autre membre de l'équipe (éducateur référent, infirmière, logopède, pédiatre,…).

1° Cependant, le "travail famille" dans notre institution thérapeutique, c'est beaucoup plus que cela. Nous sommes un centre de jour, et nous organisons le moins possible un "ramassage" des enfants; ce sont donc les parents, ou des familiers, qui viennent le conduire et le chercher. Nous avons observé que le simple fait d'accueillir de façon active, positive et bienveillante le matin et à 16h00, le parent qui amène l'enfant, avait un effet thérapeutique familial tout à fait inattendu dans son ampleur. Nous constatons que les parents sont soulagés (togliersi un peso) au propre comme au figuré du poids que représente leur enfant et sa pathologie. Venir au KaPP, c'est déposer son enfant, en se rendant compte rapidement (en 2-3 jours, bien souvent), qu'il va être accepté, tel qu'il est, avec sa pathologie. Le parent sent que l'équipe cherche à observer le moindre progrès. Il entend parler du bien-être de l'enfant dans son adaptation au service. Cela les change habituellement du discours qu'ils entendaient trop souvent, et qui était une plainte de l'école, de la crèche, de la famille,… concernant les problèmes d'adaptation et de relation de l'enfant. Un tel accueil soulage l’inquiétude des parents, soulage leur souffrance. Pas encore parce que l'enfant va mieux, mais simplement parce qu'il est accueilli – et les parents aussi – avec bienveillance.

Or, qui fait ce travail d'accueil? Dans les premiers temps, c'était l'assistante sociale qui était chargée de cet accueil. Ensuite, nous avons étendu cela à l'éducateur "référent de semaine" (nous avons 8 éducateurs, et, à tour de rôle, chacun assure pendant une semaine la coordination quotidienne). Plus tard encore, nous avons associé l'aide soignant à l'accueil du matin, puis également les deux éducateurs "sportif" et "créatif".

Bref, cette fonction d'accueil de la famille a été développée peu à peu par la plupart des personnes de l'équipe.

2° Deuxième exemple de dispositif qui s'est à peu à peu mis en place dans notre service: les ateliers avec parents.

Régulièrement, nous invitons un des parents, ou les deux, à participer à un atelier de groupe avec les enfants.

Nous avons déjà ouvert l'atelier de psychomotricité, l'atelier scolaire, l'atelier cuisine, l'escalade, la piscine,… Chaque invitation est préparée à la réunion d'équipe, et au moins deux personnes de l'équipe animent l'atelier: l'animateur proprement dit, associé à l'éducateur référent, ou au psychologue référent. C'est en quelque sorte le dispositif "en miroir" des entretiens de famille classiques où le médecin et/ou le psychologue invitent régulièrement d'autres membres de l'équipe – en fonction de la situation – à participer à la séance.

Comme on peut le constater, des ateliers avec parents sont fort simples à mettre en place, si l'équipe est convaincue de son intérêt. Cependant, cela demande que les "bases" dont je parlais soient bien établies:

•    fonctions différenciées mais non hiérarchiques,
•    personnel compétent dans son domaine, ce qui permet de "s'exposer", avec suffisamment d'assurance, au regard du parent et à celui du collègue.

Conditions d'une formation d'équipe

A partir de ces deux exemples "simples" de dispositifs institutionnels dans le travail avec les familles, voici ce que sont – à mon avis – les conditions de formations au KaPP.
1.    Conditions pour former au savoir

Nous veillons à avoir suffisamment de moments de "séminaires" (inviter une personne extérieure, préparer à 2 ou 3 un article, faire le point sur les diagnostics employés, participer à des journées d’études extérieures,…). Nous essayons de faire 1 heure de séminaire interne par mois, ce qui est difficile; par contre nous avons deux journées institutionnelles/an pour parler de notre pratique de façon plus approfondie.

Pour organiser du temps pour la participation aux journées d'études à l'extérieur, il faut une solidarité d'équipe et une bonne répartition "quantitative" du travail par rapport à la formation. Ainsi, à ce moment même, il y a à Bruxelles une matinée sur "fonction éducative / fonction thérapeutique". Notre coordinatrice y va avec les 8 éducateurs… Ce qui n'est possible que parce que tous les autres membres de l'équipe (logopède, psychomotricienne, psychologues) ont accepté de prendre en charge les ateliers et autres moments (repas, récréation) de la matinée…

2.    Conditions pour former au savoir-faire

Il s'agit ici de cette formation interactive des membres de l'équipe, formation essentielle à mon avis, où chacun travaille délibérément, de façon institutionnellement organisée, en dehors de son strict domaine de compétence et de fonction. Par exemple:

•    les ateliers pour 5 à 8 enfants sont animés par 2 personnes: une personne responsable du contenu de l'atelier (psychomotricienne, logopède, éducateur, psychologue – pour un atelier "conte",…) et une deuxième personne pour coanimer sur l'aspect ambiance et comportement.
•    les temps "interstitiels" (accueil des enfants le matin de 8h à 9h – début des ateliers -, les récréations, les repas) sont assumés par l'ensemble des membres de l'équipe: éducateurs, logopède, psychomotricienne, infirmière, psychologues,…

En quelque sorte,

la "fonction d'adulte" par rapport à l'enfant est assurée par tout professionnel de l'équipe.

Il y a donc un savoir-faire "éducatif" qui est assumé et partagé par chacun de l'équipe par rapport aux enfants. Il ne s'agit pas simplement de "solidarité" (ce qui est cependant très présent: la fonction de "relais", - intervenir pour soutenir, sans disqualifier, un collègue en difficulté avec un enfant –, est une priorité institutionnelle: si nécessaire, le médecin ou le psychologue sort de sa consultation pour aider le collègue). Partager dans les faits la "responsabilité éducative" permet de crier une ambiance institutionnelle pour oser dire les choses sans que l'autre se sente jugé ou dévalorisé.

3. Conditions pour former au savoir-être

Penser la formation comme un processus continu d'échanges dans l'équipe, demande donc de pouvoir partager et se confronter, en équipe autour des pratiques dans le travail.

Comme nous l'avons signalé, cela nécessite une ambiance d'équipe qui autorise la mise en question réciproque critique et constructive.

C'est ici que la direction d'équipe, le rôle des personnes en places de direction, est extrêmement important.

Si, dans une équipe, les "chefs" utilisent leur pouvoir et leur autorité pour trouver les fautes dans le travail des membres de l'équipe, on crée un climat de suspicion, ou de peur, qui fait que chacun aura tendance à travailler dans son coin, porte fermée, à l'abri du regard de l'autre.

La mise en question réciproque critique et constructive est implicitement "autorisée" (ou empêchée) par le "modèle de savoir-être" des personnes en position d'autorité.

Or, comme nous le proposons, l'essentiel de la formation ne vient pas de l'extérieur, mais de cette mise en question réciproque critique et constructive.

Par exemple, "se former aux ateliers avec parents", vient du fait que personne au KaPP ne refuse de faire ce type d'atelier. Ce qui nécessite de travailler sous le regard du parent d'une part et sous le regard du collègue d'autre part. Mais, dans une ambiance de confiance et mise en question réciproque, ces regards ne sont pas dangereux, ce sont des aides dans le travail.

Confiance donc
•    Confiance en soi, et dans sa compétence
•    Confiance dans le collègue comme co-constructeur de la pratique.

A propos de confiance, nous avons, après pas mal de résistance au début, pris l'habitude de filmer des moments institutionnels qui nous semblaient difficiles. Non pas pour voir qui faisait des erreurs, mais comment les choses se passent, quand on peut les regarder avec du recul, avec le regard de "l'autre qui aide" (et pas de l'autre qui juge).

Ceci dit, une telle qualité d'ambiance n'est jamais acquise. Il faut une volonté et une énergie sans cesse à renouveler pour lutter contre les dysfonctionnements d’une part et d’autre part contre les problèmes relationnels inhérent à tout travail d'équipe afin de pour promouvoir les ressources et les compétences de chacun.