philippekinoo.be

Psychiatre infanto-juvénile et psychothérapeute.

Coparentalité et prévention de l’aliénation parentale

I. Préliminaires

Les réflexions et témoignages qui suivent sont issus d’une pratique comme expert judiciaire pendant une vingtaine d’années en Belgique francophone ainsi que d’une pratique de quarante ans comme thérapeute familial, intervenant en psychothérapie institutionnelle d’enfants et superviseur d’équipes.

Je vous propose quelques réflexions préliminaires « généralistes », mais applicables à l’aliénation parentale : il faut penser sa pratique, pour ne pas pratiquer une pensée ; il y a des arbres qui cachent la forêt ; dans certains domaines, on trouve ce que l’on cherche ; un diagnostic n’a jamais guéri personne.

La première réflexion invite à une position critique par rapport à toute conviction dogmatique, et certainement en sciences humaines appliquées : il faut penser sa pratique pour ne pas pratiquer une pensée. Le syndrome d’aliénation parentale (SAP) ne fait pas exception à cette règle, et l’évoquer sans discernement occulte trop souvent la complexité des refus de contact entre un enfant et l’un de ses parents.

D’où une deuxième réflexion, il y a des arbres qui cachent la forêt. Il arrive que le débat autour de « SAP ou pas » occulte les différents enjeux émotionnels et relationnels de la plupart de ces situations. Pour une esquisse déjà plus détaillée de cette complexité, je renvoie le lecteur par exemple au texte dans cet ouvrage de mon collègue Jean-Yves Hayez, qui a repris et mis à jour quelques idées que nous avions présentés dans un article commun . Je les schématise ici brièvement.

On peut représenter différents types de situations de refus de contact sur un gradient. A l’une des extrémités, on trouve en effet des situations d’enfants sous influence pressante et non-objective du parent qui dispose de l’hébergement principal pour refuser le contact avec le parent non gardien, ce que certains définissent donc comme aliénation parentale. A l’autre extrémité, on trouve des parents refusés qui ont eu des comportements anxiogènes, « négatifs » directs (sur l’enfant) ou indirects (sur l’ex-conjoint), tellement intenses et répétés que l’enfant a de fort bonnes raisons de se bloquer et de manifester son refus de contact (du moins sans accompagnement adéquat). Sans compter quelques situations, plus rares, ou c’est l’enfant lui-même, en référence principalement à sa seule liberté d’appréciation (plus souvent, dans ces cas, un adolescent) qui refuse le contact. Cependant, la grande majorité de ces refus et blocages font partie d’un système relationnel et émotionnel complexe, où la souffrance, la maladresse, la haine, la responsabilité, sont largement partagées entre le parent refusé, le parent hébergeant et l’enfant, et, d’ailleurs, bien souvent d’autres protagonistes. Il est dès lors utile de chercher le rôle de toutes les personnes concernées, et par exemple, plus particulièrement, les propres parents du parent gardien, ainsi que le conjoint actuel du parent refusé. Dès lors, pour une représentation plus quantitative et visuelle des causes de ces différents refus, nous avons non plus un gradient linéaire, mais une courbe de Gauss, bien plus fournie en son centre qu’à ses extrémités. Les réflexions que nous allons proposer dans la suite de cet article auront tout leur sens pour intervenir dans les situations du centre de la courbe et/ou pour éviter des glissements vers la zone extrême de l’aliénation parentale, voire pour ramener des situations de l’extrémité « aliénation » vers la zone centrale de complexité.
.
Troisième réflexion : dans certains domaines, on trouve ce que l’on cherche. Certains collègues psys, travailleurs sociaux ou juristes se sont spécialisés dans l’aliénation parentale. Leur manière d’appréhender ce qui se passe risque alors bien souvent de faire passer les situations du centre du gradient, vers l’extrémité « aliénation ». Et comme le champ socio-judiciaire, avec ses institutions multiples, est encore trop souvent un champ de bataille où l’on cherche à gagner contre l’autre camp, il arrive malheureusement que pour certains (les parents, leurs conseils, voire d’autres professionnels), tous les coups soient permis. Parmi ceux-ci, se trouvent deux armes redoutables. Il y a l’accusation d’aliénation parentale du côté d’un parent refusé, pour se dédouaner de toute implication dans le refus de contact. Y répond quasi automatiquement et symétriquement celle de « pervers narcissique ». Et il y a celle d’allégation d’abus sexuel proférée par le parent gardien, ce que la Belgique a connu de façon exponentielle après ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Dutroux » .

Enfin, dernière réflexion : un diagnostic n’a jamais guéri personne. Ce n’est pas le diagnostic mais bien les interventions adéquates des acteurs juridico-psycho-sociaux qui permettront de résoudre, ou du moins d’apaiser et d’accompagner, ces conflits dans lesquels les enfants peuvent être massacrés. Dès lors, mon propos sera principalement de présenter le rôle actif que peuvent jouer les intervenants dans la coparentalité et, par conséquent, dans la prévention de l’aliénation parentale.

II. Introduction

Les réflexions et propositions qui suivent s’adressent aux intervenants des communautés psychothérapeutique, juridique, et plus largement, sociale (travailleurs sociaux des agences d’Etat et les écoles par exemple) : du bon usage de la coparentalité. Bien souvent, on réfléchit à la notion de coparentalité du côté des deux parents. On considère que pour que cette coparentalité fonctionne bien, il est nécessaire que les deux parents « jouent le jeu », le mieux possible et qu’ils développent, sur une base de respect réciproque minimal, une capacité de collaboration et de coopération dans la fonction parentale. Cela est, évidemment, tout à fait correct. Cependant, pour que la coparentalité fonctionne bien, il est important également de pouvoir la « jouer à trois » ; le troisième partenaire, à côté de chacun des deux parents, c’est l’intervenant juridico-médico-psycho-social.

La coparentalité est une notion soutenue dans son principe par l’ensemble des communautés juridique, médicale ou psycho-sociale. Dans la pratique cependant, il est fréquent que les intervenants de ces différents champs privilégient le lien avec l’un ou l’autre parent, le plus souvent le parent gardien. Or, à un premier niveau, jouer le jeu de la coparentalité à trois (l’un et l’autre parent, mais aussi l’intervenant, qui doit veiller à impliquer les deux parents), est un principe de base qui trouve son fondement tant dans la législation (le respect de l’autorité parentale conjointe), que dans la clinique psychothérapeutique infantile (le respect de la double filiation). Lorsque les parents s’entendent suffisamment bien après leur séparation, ils mettent d’ailleurs spontanément en place les dispositifs permettant la coparentalité. A un deuxième niveau, lors de situations complexes, lors de tensions et de conflits persistants, la coparentalité n’est plus exercée spontanément par les parents, voire ne l’a jamais été. Ce sera dès lors aux intervenants de prendre l’initiative pour engager les deux parents dans toute décision, travail ou traitement importants concernant leur enfant. Lorsque nous n’en sommes pas encore au « stade du SAP », cette attitude peut prévenir l’escalade vers celui-ci.

Par ailleurs, notons que c’est tout aussi sensible et difficile d’intervenir lorsque le PR est – ou est suspecté d’être – maltraitant ou incestueux. Il y a, certes, des situations où des mesures de protection doivent être prises de façon urgente et unilatérale, le cas échéant par intervention de l’autorité judiciaire. Cependant, même dans les cas les plus interpellants, l’intervenant médico-psycho-social doit rester attentif à l’implication, sous une forme ou une autre, de chacun des deux parents. Les intervenants ont souvent, de façon bien compréhensible, des attitudes de jugement et de mise à distance de ce parent « monstrueux » – ce qui est l’image consciente ou inconsciente que l’enfant également a de ce parent. Une réflexion de Daniel Sibony m’a guidé tout au long de ma pratique dans ces situations : « Respecter le père indigne, c’est donner du poids au père qu’il n’a pas été ou qu’il n’a pas pu être (…). Ne pas être vis-à-vis de lui en état de vengeance (…). Et si le père fut incestueux ? Alors le respecter comme père, c’est l’écarter comme violeur. A la limite, il faut le respecter comme père pour inscrire avec lui, malgré lui, l’interdit de l’inceste ».

Au même niveau de principes fondamentaux, il y a une dimension « clinique » importante. Lorsque des parents sont pris dans d’importants conflits concernant l’enfant, celui-ci se trouve pris dans ce que l’on a coutume de définir comme un conflit de loyauté. Dès lors, si l’intervenant peut lui dire, après avoir rencontré préalablement l’un et l’autre parent (comme nous le développons plus loin) : « Je sais comme toi que tes parents sont toujours en grande dispute, et qu’ils sont rarement d’accord entre eux. Cependant je les ai rencontrés l’un et l’autre. Ils sont tous les deux d’accord que tu viennes me voir, et qu’on essaie de trouver tous ensemble ce qui pourrait aider ta famille à trouver des améliorations pour que chacun puisse s’y sentir mieux », cet intervenant aura fait en sorte que l’enfant puisse entrer dans le travail à sa place d’enfant, c’est-à-dire fils ou fille de l’un et l’autre parent.

III. Comment jouer à trois ?

Dans ma pratique de médecin pédopsychiatre, en consultation ou en hospitalisation, je travaille bien souvent avec des enfants de parents séparés ou divorcés. Or, par ma manière de travailler avec ces familles, concrètement éclatées, je peux favoriser ou torpiller la coparentalité . J’expliquerai de quelle manière par la suite. Avant d’aborder des exemples pratiques et concrets, énonçons quelques repères montrant la nécessité pour l’intervenant auprès d’enfants de parents séparés de travailler avec les deux parents.

A- Au niveau légal

L’autorité parentale restant conjointe – dans la plupart des cas – après la séparation, l’intervenant est légalement obligé d’informer les deux parents et d’obtenir leur accord avant la mise en place de tout traitement. Rappelons en effet que les médecins ne peuvent que proposer des traitements et que c’est l’adulte majeur qui décide (ou non) de les appliquer. Pour les mineurs, ce sont les titulaires de l’autorité parentale qui décident. Ceci vaut bien évidemment pour les traitements psychothérapeutiques. On pourrait dire, en quelque sorte, que la loi rappelle aux intervenants médico-psycho-sociaux qu’ils doivent jouer le jeu de la coparentalité. Ce rappel est important car on observe encore que des intervenants se satisfont de l’accord du seul parent demandeur.

B- Au niveau déontologique

En Belgique, le code de déontologie médicale a précisé l’obligation pour le médecin intervenant auprès d’un enfant de parents séparés de veiller à l’accord des deux parents. Un avis de l’Ordre des médecins du 16 novembre 1996 (rédigé donc peu après la loi belge de 1995 sur l’autorité parentale conjointe ) est très explicite à cet égard. Nous en reprenons quelques extraits. Le code va jusqu’à suggérer de façon concrète comment prendre contact téléphoniquement avec le parent absent, ou avec le médecin traitant de ce dernier : « Les médecins sont quotidiennement consultés pour des enfants dont les parents ne vivent pas ensemble. Aussi longtemps que les parents continuent à dialoguer et à se concerter au sujet de l’éducation et de la santé de leurs enfants, il est rare que le médecin rencontre des problèmes déontologiques spécifiques. Ces problèmes n’apparaissent qu’à partir du moment où cette concertation entre les parents est rendue difficile ou devenue impossible. (…) Le Conseil National estime important que même les enfants de parents non-cohabitants n’aient qu’un seul médecin traitant. Lorsque ceci n’est pas possible, les médecins qui interviennent dans les soins à l’enfant se concerteront collégialement et échangeront les informations nécessaires en fonction de l’intérêt de l’enfant. Depuis l’adoption de la loi (…) du 13 avril 1995, les deux parents – qu’ils vivent ensemble ou non – exercent conjointement l’autorité parentale vis-à-vis de leur(s) enfant(s), à moins qu’une décision judiciaire n’ait confié à l’un d’eux l’exercice de cette autorité en tout ou en partie. Auparavant, lorsque la vie commune avait pris fin de facto, celui des parents chez qui l’enfant résidait, décidait seul des soins et du traitement de l’enfant. Cette règle n’a plus cours à présent. L’autre parent conserve légalement les mêmes droits que le parent chez qui l’enfant réside. De même que le parent ne vivant pas avec l’enfant a le droit de s’opposer au choix d’un établissement scolaire pour l’enfant, il a le droit de s’opposer au choix du médecin traitant préconisé par le parent vivant avec l’enfant. Il est par conséquent important que les médecins mettent tout en œuvre pour garder la confiance des deux parents. S’ils n’y parviennent pas, ils doivent rechercher, avec les parents, une alternative qui serve les intérêts de l’enfant. Si, en dépit de tous les efforts des médecins consultés, il n’y a pas de consensus entre les parents sur le choix du médecin, chacun des parents peut faire part de la divergence de vue au juge de la jeunesse. Lorsqu’une décision judiciaire attribue l’exercice exclusif de l’autorité parentale à l’un des parents, celui-ci a le droit de décider du choix du médecin. Ceci n’exclut pas qu’il puisse être important pour l’enfant que l’autre parent soit d’accord avec le choix du médecin ».

Bien que cette disposition du code de déontologie soit très claire, elle reste, malgré les années, toujours peu effective dans les faits.

C- Au niveau de la pratique clinique en consultation psychologique ou pédopsychiatrique

Plus fondamentalement encore que l’exigence légale ou déontologique, la participation des deux parents est capitale dans la mise en place du cadre thérapeutique, puis dans le décours du travail avec les enfants. Si les mères sont traditionnellement plus promptes à s’occuper des soins aux enfants, et donc des contacts avec les médecins, les psys ou autres soignants, la question de la place du père traverse tous les domaines du développement de l’enfant, y compris bien évidemment le domaine des soins psychologiques ou relationnels. Cette quasi évidence concernant l’importance de la place du père, partagée par la plupart des professionnels de l’enfance, analysée et commentée très largement dans la littérature, se heurte pourtant encore bien souvent à des pratiques privilégiant la participation d’un seul parent – le plus souvent la mère – à l’essentiel du travail thérapeutique. La proportion de « mères en première ligne pour les soins », augmente encore lorsque les parents sont séparés. Si les pères prennent parfois l’initiative de contacter l’intervenant médico-psycho-social, cela reste une minorité. De toute manière, la question qui nous occupe n’est pas là : quel que soit le parent qui contacte, il importe d’impliquer l’autre parent, que ceux-ci soient cohabitants ou séparés.

La thérapie familiale, vraisemblablement plus que d’autres approches thérapeutiques, a développé une méthodologie où le « setting », c’est-à-dire la réflexion et la mise en place d’une invitation éventuelle de différents membres de la famille au travail de consultation, a toute son importance. Concernant cette mise en place du cadre dans des situations de séparation, je tiens à souligner qu’en impliquant dès que possible les deux parents (c’est à dire, comme on le verra, avant la rencontre avec l’enfant), le thérapeute donne un signal fondamental signifiant : la reconnaissance pour l’enfant de l’égale valeur de ses deux parents ; corollairement, la reconnaissance que, même séparés, sa double filiation – maternelle et paternelle – reste reconnue et respectée ; une position de thérapeute, non pas dans une « neutralité », mais dans un double engagement, une double loyauté, comme l’est l’enfant lui-même, avec l’un et l’autre parent ; le respect du principe de coparentalité, et de sa valeur.

Le thérapeute respecte ainsi en effet la coparentalité en tant que principe organisateur de la famille, et il tient compte des effets de la coparentalité sur l’affectif familial. Depuis des années, l’évolution sociologique du divorce fait que celui-ci, pour l’enfant, n’est plus une situation exceptionnelle, à la limite pathologique, mais une nouvelle façon de vivre en famille dans de nouvelles normes, de plus en plus communes et acceptées. Ceci entraîne également le thérapeute à devoir redéfinir son mode de fonctionnement dans ces circonstances. S’il ne s’adapte pas suffisamment à cette évolution normative, anticipant si besoin la mise en place du contact avec les deux parents, il risque non seulement d’être en retard d’une guerre, mais de raviver ou d’amplifier des dysfonctionnements de la coparentalité. S’il privilégie le contact avec un seul parent, il risque en effet d’exclure ou d’éloigner encore plus le parent le plus distant, de susciter des reproches et des critiques entre les deux parents sur le bien-fondé de la démarche et/ou la manière dont l’initiative fut prise, de coincer l’enfant dans un conflit de loyauté lorsqu’il sait ou sent que l’un des deux parents est opposé à la consultation ou à la thérapie (habituellement l’enfant le sent très rapidement) et, dans certaines situations, de faire le lit d’un syndrome aliénation parentale.

Le problème étant posé sur le plan des principes, voici un développement concret et imagé d’une manière de fixer les premiers entretiens en respectant la coparentalité. Cette illustration se base sur ma propre expérience. Loin de moi l’idée d’en faire un modèle, il s’agit tout simplement de la description d’une démarche concrète. Pour synthétiser, lors d’une demande de traitement concernant un enfant dont les parents sont séparés, il faut d’une part l’accord des deux parents, avant de commencer le travail avec l’enfant ; d’autre part pouvoir informer et rassurer l’enfant sur le fait que le travail qui se met en place le concernant se réalise à la demande conjointe de ses deux parents, ou du moins avec leurs deux accords, et qu’il n’y a donc, dans son chef, aucune déloyauté s’il s’engage dans le processus.

Pour arriver à cet objectif, il me semble indispensable d’agir dès la prise de rendez-vous lors du premier appel téléphonique. Vu la négociation éventuelle pour la mise en place du ou des premiers entretiens, il est d’ailleurs utile de réserver un temps à une « permanence téléphonique » pour négocier et fixer soi-même le ou les premiers entretiens. Lors d’un tel contact téléphonique, après la demande de base formulée par le parent interlocuteur, je fais la proposition suivante : « Habituellement, pour un premier entretien, je propose de rencontrer l’enfant et ses deux parents. Est-ce que c’est une formule qui vous paraît possible et adéquate ? ». C’est à ce moment que surgit la référence aux pères-qui-travaillent-beaucoup-et-ne-peuvent–prendre-congé, ou alors qu’est annoncée l’éventuelle situation de divorce ou de séparation. On retrouve alors schématiquement trois réponses types : premièrement, « Nous sommes séparés mais nous nous entendons suffisamment bien pour venir ensemble » ; deuxièmement, « Le père (ou la mère) est au courant, est d’accord avec ma démarche, mais nos rapports sont trop tendus pour parler suffisamment à l’aise ensemble » ; troisièmement, « Le père (ou la mère) ignore ma démarche, et ça me gêne de, (ou je ne tiens pas à,) l’informer ». Dans le premier cas, les parents peuvent être vus ensemble. Dans les deux derniers, un entretien est fixé pour le parent « premier demandeur » seul. Dans les trois cas, je travaille le premier entretien sans l’enfant. Il faut, me semble-t-il, rester prudent et éviter de faire vivre à celui-ci des discussions conflictuelles toujours possibles. En outre, ce n’est pas au psy de réunir devant l’enfant des parents que la vie a séparés…

On retrouve donc deux formules de premier entretien.
En premier lieu, les deux parents acceptent de venir ensemble, ce qui est relativement facile dans la forme, puisque les divers éléments pertinents peuvent d’emblée être abordés avec les deux parents. Ce n’est pourtant pas nécessairement ni plus facile sur le fond ni de meilleur augure que lorsque les parents ne se parlent pas. Il arrive régulièrement que reproches et rancœurs fassent irruption à travers une « bonne entente » superficielle. Malgré les tensions et les difficultés qui apparaissent, il est néanmoins plus fructueux de mettre en place le cadre des éventuels entretiens suivants, et de préparer ensemble la manière d’impliquer l’enfant.

En deuxième lieu, vu les craintes ou les réserves du parent demandeur, le premier entretien peut se dérouler avec celui-ci uniquement. Lors de cet entretien – donc toujours et nécessairement sans l’enfant –, nous abordons bien évidemment la place et le rôle du parent absent, et l’importance de l’impliquer, dès le début, dans le travail. Nous demandons au parent présent l’autorisation de contacter le parent absent par courrier. Lorsque le parent est d’accord, un courrier tel que celui qui suit peut être envoyé : « Monsieur (ou Madame), (comme vous le savez), j’ai été contacté par Mme A. (Mr B.) concernant votre fils, votre fille Z. Avant de déterminer si je peux être utile dans cette situation, je souhaite avoir votre avis, et vous propose de prendre contact avec moi pour fixer un rendez-vous à votre meilleure convenance. Vous pouvez me joindre… ». Plus de neuf fois sur dix, le père (la mère) prend contact.

Lorsque le parent présent à l’entretien n’est pas d’accord, un bras de fer s’engage. Cette situation est relativement rare. Il arrive alors souvent que le parent, d’abord réticent à la prise de contact avec l’autre, finisse par l’accepter, bon gré, mal gré, devant les arguments et la détermination du professionnel consulté : « Vous dites que le problème, c’est son père, mais vous ne voulez pas que j’invite “le problème” dans mon bureau ?! Comment voulez-vous que je tente de le résoudre ? ». Il arrive aussi que l’accord formel soit donné, mais que le parent présent y ajoute quelques commentaires dubitatifs et acides : « Vous pouvez toujours essayer, mais il ne s’est jamais intéressé à l’éducation des enfants », ou encore : « Vous verrez, il ne supporte pas les psy(chologues – chiatres) ». De toute manière, tout en prenant bonne note de ces réticences et/ou du demi-consentement, après une discussion suffisante, la lettre présentée plus haut peut être envoyée.

Si un refus catégorique persiste néanmoins de la part du parent demandeur, il est habituellement justifié par la haine et/ou par le désir d’éliminer le parent absent de la vie de l’enfant. Autre raison encore, c’est quand la sollicitation est moins une demande d’aide qu’une demande de diagnostic d’une pathologie de l’enfant dont l’autre parent serait responsable, pathologie qui devrait être confirmée par un rapport écrit et ensuite utilisée dans une procédure judiciaire contre l’autre parent (habituellement pour réduire ou supprimer les contacts entre l’enfant et ce dernier). Ici, les conditions mêmes de la démarche empêchent en fait tout travail thérapeutique, tout questionnement critique des relations familiales. On pourrait dire que dans ces situations, le parent alléguant ne cherche pas à trouver des solutions relationnelles intrafamiliales ; au contraire, il a besoin que le problème persiste, et soit validé par un professionnel afin de devenir une arme d’élimination de l’ex-conjoint.

Dans ce dernier cas, s’il a pu arriver que l’un ou l’autre parent soit parti sans demander son reste (peut-être chez d’autres collègues, mais ce n’est pas sûr), d’autres, parfois au bout de deux ou trois entretiens, toujours sans l’enfant, comprennent la position tenue par le thérapeute, et suspendent leur demande.

Vient ensuite la rencontre avec le parent « convoqué » : le plus souvent, celui-ci répond à l’invitation. Il faut parfois un peu de souplesse avec les « papas-qui-travaillent-tard », mais dans la très grande majorité, la réponse est positive, et un rendez-vous peut être fixé. Le contenu de cet entretien, on s’en doute, peut aller dans des sens fort différents : récriminations contre l’ex-conjoint(e), certes, mais plus habituellement, soucis et inquiétudes ou questions, tout simplement, concernant l’enfant et le travail psy éventuel. S’ils sont impliqués rapidement, ces parents « convoqués » ne refusent pas la prise en charge. La plupart reviendront régulièrement, quelques-uns redisparaîtront, ou resteront à distance, manquant les rendez-vous ultérieurs, ou ne répondant plus aux éventuelles invitations. Mais leur place dans le travail a été et reste ouverte. Quant à l’intervenant, il a joué le jeu de la coparentalité, même dans la crise. Il a pu ainsi mettre l’enfant à sa place d’enfant (« fils ou fille de l’un et l’autre parent »). Cette étape préalable n’est donc pas du temps perdu, c’est du temps gagné dans la mise en place de bonnes conditions de travail avec l’enfant.

D- Au niveau des « expertises psy » dans les divorces

Je ne développerai pas la méthodologie que nous appliquions avec mes collègues lorsque nous pratiquions ce genre de travail . Voici cependant un exemple de la coparentalité respectée par l’expert : nous convoquions toujours les enfants concernés par l’expertise au moins à deux reprises, non pas pour « vérifier » leurs dires lors d’un deuxième entretien, mais parce qu’ils étaient invités à venir conduits une fois par leur père, une fois par leur mère. Ce dispositif nous semblait le plus simple pour jouer le jeu de la coparentalité. Il demandait d’être présenté, discuté, accepté et organisé concrètement lors de l’entretien d’installation, au démarrage de l’expertise, en présence des deux parents et de leurs conseils.

IV. Les autres acteurs du champ social

La coparentalité se joue à trois… Donc, tant sur le plan des principes que sur celui du travail concret avec les enfants de parents séparés, reconnaître et gérer la coparentalité est de la responsabilité et du ressort des intervenants médico-psycho-sociaux. A côté du champ psychothérapeutique qui vient d’être évoqué, un autre qui me semble important est celui de l’école. Trop souvent encore, en ce qui concerne leurs « contacts famille », certaines écoles fonctionnent comme s’il n’y avait que des parents cohabitants ou, en cas de séparation, un parent unique. Concrètement alors, les informations et invitations à transmettre aux parents se font par un seul exemplaire remis à l’enfant. Cela est tout à fait compréhensible s’il s’agit par exemple d’une note au journal de classe demandant 0.50 euro pour les photocopies ; c’est plus délicat quand il s’agit du bulletin trimestriel de l’enfant, ou de la feuille reprenant les jours de congé de l’année et les dates des réunions de parents. Bien sûr, l’unique exemplaire sera dupliqué par le parent gardien lorsque la coparentalité « à deux » est fluide. Mais malheureusement, elle fonctionne souvent avec difficulté soit par abus de contrôle ou négligence du parent « hébergeant principal », soit par désinvestissement du parent « hébergeant secondaire ».

Le fait de se sentir, en tant qu’école, le troisième partenaire du jeu de la coparentalité et d’agir dans ce sens, permet, si tout va bien entre les parents, de renforcer une dynamique parentale positive existante, en adressant toutes les informations importantes en double exemplaire. Et si tout ne va pas bien, cette manière de faire reste le signe de l’engagement de l’école dans le principe de la coparentalité, ce qui, dans certains cas, évitera une exacerbation de la problématique parentale, en limitant l’abus de contrôle de l’un, ou le désinvestissement de l’autre. Il n’est pas rare que des papas, décrits comme n’investissant pas le domaine du scolaire (ou de la santé, ou du psychologique…) montrent clairement leur intérêt et leur engagement si l’intervenant les interpelle. Nous l’avons montré dans le cas de la consultation psy ; il en va de même à l’école.

Certes, la coparentalité est d’abord l’affaire des parents séparés. Cependant, il en va également de la responsabilité des partenaires de la famille de prendre en compte « la fonction coparentale » après une séparation, qu’ils soient psychologue, médecin, travailleur social ou directeur d’école. Or prendre en compte, ce n’est pas attendre de la part des parents de bien co-fonctionner spontanément. Il s’agit d’une responsabilité des intervenants eux-mêmes, par exemple en veillant à établir les documents scolaires importants en double exemplaire. A la fois très simple et très compliqué, sauf lorsque l’école en fait un objectif pratique concret et prioritaire. Les écoles que je connais qui appliquent ce principe le font sans difficulté après une petite période de rodage et contribuent, ce faisant, comme tout intervenant qui noue des liens avec les deux parents, à lutter contre la mise en place du syndrome d’aliénation parentale.