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Psychiatre infanto-juvénile et psychothérapeute.

Aliénation parentale : un concept à haut risque

JY Hayez, Ph. Kinoo (2005) "Aliénation parentale, un concept à haut risque", Revue Droit Familial, DeBoeck, LLN et Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence.

A.    Introduction

Nous avons désiré rédiger une sorte d’essai, qui fasse le point sur notre pratique clinique et sur nos connaissances, autour de ce douloureux problème des séparations parentales très difficiles. Nous voulions apporter notre témoignage à leur propos, sans simplifier, et en espérant que les pistes de prise en charge proposées puissent aider nos collègues ou/et susciter un débat avec eux. D’autant que nous sommes persuadés que ces problèmes ne feront que croître, à l’unisson de l’augmentation persistante des couples qui se séparent.
Nous nous sommes également engagés à écrire parce que nous sommes effrayés face à certaines réactions sociales :
- D’aucuns abusent du terme « aliénation parentale » – pourtant non validé scientifiquement - et ne sont pas loin d’y ranger toutes les situations où existent des difficultés majeures de rencontre parent-enfant … ils franchissent alors trop aisément le pas qu’a franchi Gardner, en recommandant des mesures de déplacement violentes pour l’enfant chaque fois que la situation reste grave et rebelle à d’autres approches.

- D’autres pensent que l’hébergement alterné doit s’appliquer dans ces cas où les parents passent leur vie à se déchirer : ce serait une sorte de médicament, apte à calmer au seul nom de l’enfant. Ce n’est pas notre expérience ! En attendant, il faut se rappeler que la garde alternée n’est pas une obligation légale, mais une préférence du législateur en France.


B.    Genèse de la notion d’aliénation parentale

Après la séparation du couple parental, il existe dans un nombre non négligeable de cas des difficultés de circulation de l’enfant  entre ses parents. Elles peuvent s’avérer importantes et durables, jusqu’au refus total et permanent d’encore séjourner chez un parent.
Il y a une vingtaine d’années, un psychiatre nord-américain, R. Gardner, a donné une identité officielle à ces situations connues depuis longtemps, en les appelant « syndrome d’aliénation parentale » (Gardner, 1992) ; il lui a donné aussi une apparence scientifique , en schématisant et en résumant sa description en critères cliniques très concrets, dont la présence en nombre significatif doit faire diagnostiquer la présence de son syndrome . Les plus importants tournent autour du dénigrement inobjectif et passionné du parent contesté (PR, pour parent refusé) (et de ses alliés) par l’enfant, sous l’influence déterminante du  parent chez qui se passe la vie quotidienne (PG, pour parent gardien) (et de ses alliés). Gardner y inclut un critère qui coupe l’herbe sous le pied à tout doute et à toute critique : dans l’ambiance générale de sa description, l’enfant serait incapable d’avoir une pensée personnelle malgré qu’il affirme vigoureusement le contraire : s’il se prétend être un « penseur indépendant » et insiste à ce propos, l’auteur y voit précisément la preuve qu’il ne l’est pas.
Certains scientifiques, pas en très grand nombre, ont suivi Gardner et continué à promouvoir l’idée du SAP (par exemple Lovenstein, 1998 ; Major 2000). Parmi les tentatives les plus confusionnantes dans ses effets potentiels, il y a celles de Kelly (2001), qui a coupé la définition clinique de tout lien étiologique. Cela revient à dire que dès qu’un enfant dénigre un parent de façon disproportionnée par rapport à la réalité et ne veut plus aller en visite chez lui, il s’agit d’un SAP, quel que soit le panachage des responsabilités en jeu !

Ce cadre conceptuel étant proposé, il s’est passé ce que l’on pouvait redouter : on y a fait entrer beaucoup de vignettes cliniques. Parfois des bien légères, sans examiner soigneusement si l’on correspondait vraiment aux critères gardneriens officiels, qui ont une pondération de gravité. Mais surtout sans grand souci de l’étiologie, ce qui revient à dire que l’on étiquette indûment comme parents activement aliénants nombre de PG alors que l’on se trouve dans la catégorie majoritaire des causalités multifactorielles que nous  allons évoquer bientôt.
Ce « remplissage en vrac » a parfois été le fait d’intervenants naïfs et peu formés, à la recherche d’une sécurité intellectuelle et de recettes pour guider leur action. S’en tenir à une explication causaliste linéaire est également le fait de certains « spécialistes » de la séparation parentale, surtout ceux qui se sont formés aux méthodes gardneriennes et qui sont ici juge et partie.
Mais, dans le chef d’autres promoteurs du concept, c’est une stratégie beaucoup plus concertée. Des associations composées de parents refusés – en grande partie des pères – prétendent haut et fort que, pour chacune de leurs situations particulières, on se trouve bel et bien dans le cadre d’une aliénation parentale. Et elles se sont souvent constituées en véritables lobbies , cherchant à influencer les scientifiques, les magistrats, l’opinion publique, etc. Or, la composition de ces groupes est plus complexe qu’il n’en a l’air : à côté d’une présence minoritaire de parents réellement victimes d’injustice et d’aliénation, il y en a davantage qui sont en bagarre et en rivalité perdurantes avec leur ex-conjoint : sorte d’énormes bras de fer où ce qui compte, ce n’est pas vraiment le bonheur de l’enfant, mais plutôt finir par l’emporter sur l’autre. Ces lobbies sont souvent intellectuellement puissants et leurs membres ont des statuts sociaux forts et donc leurs revendications et leurs pressions sur les idées de la communauté sont efficaces. Les mouvements féministes voient même dans celles-ci une passe d’armes plus générale dans la lutte sociale entre le pouvoir des hommes et celui des femmes  (Côté, 2000).

Revenons donc à plus de sérénité : certes, nous confirmons que des difficultés graves de circulation de l’enfant entre ses parents sont susceptibles d’exister, mais…...

C.    Quelles sont les motivations en jeu ?

Les motivations à l’œuvre pour rendre compte de ces difficultés majeures de circulation sont complexes et variées. Schématiquement, nous en retiendrons trois catégories, réparties sur une sorte de courbe de Gauss. A un extrême se trouvent celles dont PR est le principal ou l’unique responsable. A l’autre celles qui sont dues à PG. Au centre, se trouvent les situations les plus fréquentes, multifactorielles, où chacun y met du sien en agressivité. Néanmoins, cette catégorisation qui ne tient compte que des facteurs parentaux est simplificatrice et boiteuse, car l’enfant aussi y met du sien et il existe même une minorité de situations ou c’est lui tout seul qui se construit une représentation négative de PR.

1.    PR a provoqué le refus

Au premier  extrême, c’est donc PR qui a provoqué, principalement ou exclusivement, que l’enfant le perçoive comme un repoussoir.

Il peut avoir été et demeurer l’agent principal de blessures relationnelles profondes, dont voici quelques exemples :

- Du temps où le couple vivait ensemble, PR était l’auteur de fortes violences envers son conjoint (le plus souvent, l’homme envers la femme). Que l’enfant ait reçu des coups lui-même ou non n’y change pas grand chose : il s’est imprimé dans son psychisme l’image d’un adulte violent, qui a fait du mal à PG que l’enfant aime et parfois protège ou défend.

- Du temps où le couple vivait ensemble, PR n’investissait en rien l’enfant. Après la séparation, s’il se met à réclamer des visites, sa motivation principale semble être de continuer à harceler son ex plus que de chérir vraiment l’enfant (Hester et Ralford, 1996). Ou alors, la motivation de PR est plus carrément financière et inavouée .

- PR s’est remis en ménage avec un compagnon ou une compagne qui n’aime pas l’enfant et le manifeste de façon subtile ou grossière. Ce que l’enfant refuse, c’est de fréquenter le système constitué par PR et son nouveau conjoint. Implicitement, il reproche à PR son  inefficacité ou sa lâcheté au moment où il faudrait le défendre lui, l’enfant, contre l’injustice du « nouveau ».

- PR - le plus souvent le père – a « plaqué » femme et enfants pour se jeter dans les bras d’une très jeune femme. Nombre de grands enfants et d’adolescents ne peuvent pas lui pardonner cette trahison qui les laisse orphelins, parfois brutalement, qui introduit gêne matérielle et souffrance morale dans la famille délaissée … tout ça pour le sexe ou l’illusion d’un bain de Jouvence.

-Lors du séjour chez un parent, des enfants peuvent être maltraités ou abusés sexuellement par celui-ci ou l’un de ses proches. S’en plaignent-ils spontanément ou refusent-ils sous l’un ou l’autre prétexte d’encore fréquenter ce parent ? C’est le cas pour une minorité d’entre eux, les plus grands surtout, soit qu’ils verbalisent ce qui leur est arrivé (rare !), soit qu’ils montrent leur souffrance et leur refus à travers les signes nouveaux d’un comportement perturbé. Mais la majorité des enfants abusés dans un tel contexte sont des enfants (très) jeunes qui le sont de façon soft (sans violence, mais dans des « jeux » ou de la séduction) et ils ne comprennent pas bien ce qui leur arrive ; donc ils ne se plaignent pas et c’est par hasard que PG découvre qu’il y a eu abus  ; ou alors, ces petits enfants ont quand même la vague intuition qu’il s’est passé quelque chose d’anormal et, presque sans le vouloir consciemment, ils font passer à PG un « innocent » test de vérification (« Maman, tu mets aussi ton doigt dans ma mimine ? » demandera telle petite fille au bain). Il s’en suit alors une cascade d’interrogations et de réactions émotionnelles entre l'enfant et PG. Quelques fois, PG peut réagir en cherchant avec délicatesse, sans tout de suite dramatiser, une aide pour comprendre et résoudre le problème. Mais bien plus souvent les réactions émotionnelles anxieuses, indignées ou hostiles de PG poussent l'enfant à  épouser étroitement ce que vit celui-ci, et même à en remettre ou à se calquer sur une part de débordement imaginaire qui envahit parfois PG.

2.    C’est PG qui provoque le refus

A l’autre extrême, c’est PG qui dysfonctionne principalement et relève alors vraiment de l’appellation de parent aliénant : il détourne l’enfant du contact avec PR en dénigrant ce dernier d’une manière soit totalement non justifiée, soit via des exagérations non fondées.

PG peut agir seul, souvent en raison d’une forte problématique psychologique personnelle : psychose , personnalité paranoïde, histoire de vie particulièrement lourde, dont des éléments sont projetés indûment sur PR. Il n’est pas rare alors qu’il reconstitue un petit château fort bien barricadé, socialement isolé, dans lequel il s’enferme avec l’enfant. Surtout quand il vit seul avec celui-ci, sa manière de dénigrer PR peut être des plus subtiles et n’être mise en évidence que par une observation attentive. Par exemple, PG manipule les souvenirs anciens de l’enfant ; il parle de façon méprisante et négative de PR à des tiers sans s’adresser directement à l’enfant ; il leur fait notamment remarquer toutes les injustices que PR lui a fait subir ; il organise les visites chez PR à des moments frustrants pour l’enfant et organise des « passages » laborieux (Van Gijseghem, 2003).
Plus souvent néanmoins, PG dispose d’alliés dans sa famille d’origine. Il souffre alors, soit d’une des pathologies tout juste évoquées, soit d’une « simple » et forte immaturité affective, qui entrave son indépendance par rapport à sa famille d’origine : alors, ce sont les propres parents de PG qui montent au créneau et enveniment les choses.
Le terme aliénant est donc à prendre avec un double effet. Par son dysfonctionnement, PG aliène (rend étranger) le PR à l'enfant. Mais il aliène aussi l'enfant à lui-même, en abusant de son pouvoir psychologique pour détruire l'image de PR construite par l'enfant et imposer la sienne.
C’est dans ce contexte de vraie aliénation que de fausses allégations d’abus sexuel sont portées à l’égard de PR. Il faut toutefois garder la tête froide à propos de l’épidémiologie de celles-ci. Contrairement à ce que dit la rumeur, elles ne sont plus en extension et ont même un peu régressé après un « pic » entre 1996 et 1999 .
Le parent aliénant est parfois convaincu de bonne foi, en référence à ses propres vécus et problèmes psychologiques qu'il projette sur l'enfant. Ailleurs au contraire, il invente délibérément : « C'est ma mère qui m'a dit qu'avec cette plainte, je gagnerai sûrement mon divorce », reconnaîtra dépitée une maman, plus inconsciente des effets de son accusation que réellement haineuse. Mais le plus souvent, l'allégation d'abus survient dans un contexte de conflit, de haine, de peur, où le moindre élément (une rougeur près des zones génitales, un geste de l'enfant, …) devient symptôme puis conviction. (Kinoo, 1999)
Quoi qu’il en soit, ce sont des familles où une prise en charge thérapeutique impliquant l'enfant et ses deux parents est nécessaire. L'intervention judiciaire seule constitue rarement une solution suffisante. (Kinoo, 1998 et Dandoy, Kinoo, Vandermeersch, 2003)

Il y a aussi les dramatiques problèmes liés à la différence culturelle ou religieuse qui pèse de tout son poids après la séparation du couple, souvent un couple de deux nationalités différentes. Ici un des partenaires, souvent le père, n’hésitera pas à enlever activement l’enfant ou à ne pas le restituer après un séjour chez lui ; faisant fi de l’attachement qui existait entre l’enfant et l’autre parent, il coupera radicalement le premier de tout contact avec le second. Une motivation d’orgueil et de haine contre l’ex-conjoint s’ajoute fréquemment aux raisons d’ordre culturel et religieux et malheureusement, les législations du pays où l’enfant a été emmené peuvent soutenir le parent aliénant.

3.    L'enfant seul provoque le refus

Dans d’autres cas, pas très nombreux non plus, le refus est principalement le fait du seul enfant. Les tranches d’âge concernées ici sont les enfants en âge préscolaire et les préadolescents ou les adolescents. Consciemment et fondamentalement, PG préfèrerait que ce refus n’existe pas, car il lui complique la vie. PR, lui, ne croit pas facilement que c’est l’enfant qui est en cause et accuse PG ; celui-ci se voit doublement victime : de son ex-conjoint et de l’enfant ; il essaie donc de faire changer l’option de ce dernier, mais en vain .
A l’origine de ces refus, on peut invoquer :

- Surtout chez les plus jeunes, la simple angoisse à anticiper la rencontre avec PR, devenu lointain et étranger ; l’angoisse que ce parent ne découvre les désirs œdipiens de l’enfant et ne le punisse pour cela (« Papa ne peut pas savoir que je me sens le petit homme de maman »).

- La très banale angoisse surajoutée d’être réprimandé et puni parce qu’on a été irrégulier ou de mauvaise humeur lors des visites précédentes (faille qui se creuse de plus en plus, de ce seul chef).

- Le conflit de loyauté que l’enfant éprouve tout seul après la séparation, surtout si celle-ci reste litigieuse entre adultes ; une manière simple de s’en sortir est de se représenter qu’il y a un bon et un mauvais parent et d’agir en conséquence (Van Gijseghem, 2003, p 25). Et tel enfant, narcissique ou anxieux peut s’acharner dans son opinion, pour ne pas vivre la honte de changer d’avis ou la crainte d’être mis en présence du parent dénigré.

4.    Les causes multiples

Néanmoins, dans la majorité des situations où un parent est refusé, les causes sont multiples. Dans l’histoire du couple et de la famille, chacun a déjà joué sa part de rôle hostile à l’autre, et il continue après la séparation.
En voici quelques exemples :

- Quand le couple vivait encore ensemble, le père se comportait plutôt durement avec la mère et se montrait peu impliqué dans le relation à l’enfant ; après séparation, il continue à faire beaucoup d’ennuis à la mère ; il a l’air d’exiger les visites de l’enfant « pour le principe » et n’a pas su s’occuper positivement de lui les premières fois où l’enfant a été le voir. La mère ne l’aime pas, ça c’est clair ; même si elle ne le dénigre pas ouvertement, elle est incapable de faire passer l’image du « bon père » qu’il n’a pas été jusqu’à présent. C’est probablement ici que se situe le mécanisme de « transmission inconsciente » par un parent de l’image négative qu’il a de l’autre. L’enfant capte les composantes souvent subtiles de cette transmission inconsciente et fait siennes les idées et les affects les plus intimes de ce parent. Les grands parents maternels sont bien présents et sur la même longueur d’onde que leur fille. L’enfant, anxieux ou très attaché à la mère, finit par fuir les contacts avec son père.

- On assiste parfois à l’amplification « de bonne foi » de certaines inquiétudes sexuelles (un anus un peu rouge devient un anus possiblement abusé). La maman ne fait rien, ne consulte pas et ne porte pas plainte, mais son inquiétude, dont s’imprègne l’enfant, alimente le cercle vicieux qui entraîne la situation vers le refus.

- De très forts conflits existent depuis toujours entre les parents et expriment leur rivalité et la volonté de pouvoir de chacun sur l’autre. Quoi qu’ils prétendent, l’enfant n’a jamais vraiment compté foncièrement comme personne dans ces conflits : objet de litige, objet que l’on se dispute, objet de chantages, il est manipulé par chacun des parents, parfois à l’insu de la volonté consciente de ceux-ci. Quand l’un des deux en a la garde au quotidien, il l’accapare jalousement et dénigre son ex. Celui-ci hurle, mais fait exactement la même chose si d’aventure l’enfant séjourne chez lui. L’enfant, soit s’aligne sur le point de vue d’un de ses parents, soit se conforme prudemment aux propos du camp dans lequel il réside pour le moment.


D.    Émergence de ces situations dans le champ psychosocial ou judiciaire.

Jusqu’ici, nous avons décrit des fonctionnements relationnels familiaux pouvant amener à des refus.
Nous décrirons maintenant quelques modalités d’apparition de ces difficultés intrafamiliales chez les intervenants psychosociaux, ou chez les intervenants judiciaires.

On se trouve face à un fatras de revendications, de bras de fer, de mensonges et de manipulation. La tension relationnelle peut être extrême, avec des moments de rage ou de vrai désespoir. Selon les étiologies, l’écoute de chacun dans ce qu’il vit aujourd’hui et la reconstruction patiente de l’histoire familiale mettront en évidence des éléments importants … mais dont la signification ne peut être interprétée qu’avec une très grande prudence. Attention aux déductions hâtives et aux subtilités, non apparentes à une écoute superficielle ! Dans ces histoires compliquées, il faut se souvenir que chacun est susceptible de penser pour son propre compte et de manigancer, y inclus l’enfant.
Attention aussi aux conclusions basées sur l'écoute du discours d'un seul parent.
On ne devrait confier l’examen de telles situations qu’à des professionnels chevronnés. Nous y reviendrons.

Parmi les expériences évoquées, on voit surgir de temps en temps l’allégation d’un abus sexuel commis par PR ou l’un de ses proches : ce sont PG et l’enfant qui l’énoncent, chacun avec une intensité, un degré de concret et une fiabilité variables au regard des méthodes d’analyse du discours bien codifiées et validées (essentiellement le SVA québécois). Ces derniers temps, le seul énoncé de l’allégation provoque un grand réflexe de crispation chez beaucoup d’intervenants, a priori qui joue davantage au détriment du parent et de l’enfant qui accusent que du parent accusé. Ces parents accusateurs – souvent des mères – risquent même de perdre la garde de l’enfant si l’on ne trouve pas de preuves claires à l’appui de leurs dires. A tout le moins se montre-t-on souvent inerte pour suspendre les contacts entre l’enfant et le parent suspect, même au moment de l’instruction judiciaire ; et si PG se rebiffe face à ce qu’il croit être la répétition d’un danger pour son enfant, il peut s’attendre aux pires ennuis (Hayez, 2004) ! Tout cela est-il bien serein et juste ?

On affirme également de loin en loin qu’il y a eu un enlèvement d’enfant. En 2001, N. de Vroede, alors premier substitut au Parquet de Bruxelles, avançait les chiffres très élevés de 17 enfants « déplacés » chaque mois (de la Belgique vers l’étranger), sans le consentement du parent resté en Belgique. Réciproquement, 12 enfants étaient déplacés chaque mois vers la Belgique. 2/3 des parents « déplaçant » étaient belges, tout comme 2/3 des parents à qui l’on soustrayait l’enfant (N. de Vroede, 2001).
Néanmoins, le terme « déplacés » est un fourre-tout dans lequel il faut distinguer :

- Quant à leur forme externe, de véritables kidnappings, plus ou moins effrayants (minoritaires), et des décisions unilatérales de mettre fin à un droit de visite rendu à PR, avec ou sans déménagement voire changement de pays dans le chef de PG (majoritaires).

- Quant à leur temporalité, des phénomènes transitoires, auxquels succèdera une laborieuse reprise de contacts avec PR, et d’autres programmés comme définitifs par le parent auteur de la « soustraction » de l’enfant.

- Quant aux motivations à l’œuvre, certains « déplacements » constituent des fuites à l’étranger de PG épuisés par un très long bras de fer avec les institutions, notamment judiciaires, parents qui restent persuadés – parfois à tort, parfois à raison – que les contacts avec PR sont dangereux… (minoritaires). D’autres sont des enlèvements internationaux émanant d’un vrai parent aliénant : surtout Nord/Sud quand ce sont des pères chez qui s’intriquent des dimensions narcissiques, d’autres liées à leur image sociale, et des considérations culturelles ou religieuses. Surtout Nord/Nord quand il s’agit de mères toutes-puissantes, qui nient la place du père sous des argumentations fallacieuses.


E.    Effets psychologiques sur l'enfant

Dans les cas où PG est effectivement aliénant, les conséquences psychologiques de son attitude sur l’enfant ne sont pas minces.

- Surtout au fur et à mesure que celui-ci grandit, il n’est pas rare qu’il se rende compte de sa propre inobjectivité lorsqu’il dénigre PR ; cette prise de conscience est au moins partielle et intuitive, mais l’enfant continue néanmoins souvent à dénigrer PR par conformisme prudent ; mais alors il se sent secrètement coupable de sa trahison : son plaisir de vivre diminue et il peut chercher à s’auto-punir de l’une ou l’autre façon . L’enfant peut également persister par orgueil : tout, plutôt que d’avouer que l’on s’est trompé ! Alors, on en remet, plus que jamais, en faisant l’étalage plus intransigeant que jamais des fautes de « l’accusé ».

- Ailleurs, l’enfant suggestionné demeure de bonne foi. Néanmoins, même alors, ça ne lui fait pas du bien que le parent aliénant présente de façon si récurrente PR comme un vrai monstre. Cela peut l’angoisser, surtout s’il est petit (« Un monstre, ça peut surgir n’importe quand avec un sac pour vous kidnapper, n’est-ce pas ? »). Ça peut aussi rendre l’enfant triste et préoccupé, même s’il ne le montre pas trop : il ne peut pas se référer à un papa et à une maman, séparés ou non, comme le font la grande majorité de ses copains ; c’est toujours la monotonie d’un seul parent, et il ne peut jamais se sentir ni se déclarer fier de l’autre. Il y a probablement aussi des failles dans la construction de son identité, surtout s’il est du même sexe que le parent honni : le parent gardien - supposons la mère – aura beau veiller à des contacts amicaux avec d’autres hommes et même se remettre en ménage avec un de ceux-ci, possible substitut paternel pour l’enfant ; elle n’enlève rien au fait qu’elle désavoue indûment la semence et le désir d’homme dont l’enfant est issu ; celui-ci pressent l’interdiction imméritée de s’identifier à son père et peine à aller chercher beaucoup de références sexuées positives ailleurs ; il a même du mal à croire à la valeur de sa propre masculinité, c’est-à-dire des ressources sexuées spontanément présentes en lui – lui qui est issu de ce père déclaré si mauvais …

- Autre évolution possible, c'est l'évolution "caractérielle". On voit alors que si dans un premier temps, PG et enfant ont été en alliance forte et en grande proximité affective pour lutter contre PR, dans un deuxième temps (à l'adolescence le plus souvent), l'enfant utilise les mêmes attitudes de haine, d'irrespect, de violence, de refus d'autorité contre PG, tout en continuant à refuser PR.

- Une fois devenu grand adolescent ou adulte, fait-il mieux la part des choses et reprend-il contact avec PR ? H. Van Gijseghem pense que ce n’est jamais le cas (Van Gijseghem, 2003). Ce n’est pas notre expérience. Nous avons constaté pour notre part que c’est lié à la passivité soumise ou à la haine active que le jeune a exprimée les années précédentes. Plus il a été actif et en colère, moins il lui sera facile de penser qu’il pourrait se réconcilier avec PR, c’est-à-dire, en quelque sorte, obtenir le pardon de celui-ci. Mais ce n’est jamais impossible !

F.    La prise en charge multidisciplinaire : l’optique gardnerienne

Dans cette optique, il  existe une tendance, abusive à notre sens, à interpréter les comportements de mise à distance de PR comme émanant des seules mauvaises influences de PG. Partant, il faut toujours mettre beaucoup d’énergie à maintenir une relation spirituelle positive et des contacts concrets entre l’enfant et PR. Cela nécessite énormément de ténacité de la part des intervenants et le plus souvent une intervention judiciaire appuyée.

Dans les refus moyens ou légers, ces contacts finissent par être restaurés et/ou maintenus ; parfois le minimum acceptable est qu’ils aient lieu dans des centres de médiation spécialisée, sous la supervision de tiers professionnels .
Dans les cas graves par contre, le refus de l’enfant persiste et Gardner y voit « la » preuve que PG est aliénant. Il fait donc procéder aux grandes manœuvres, c’est-à-dire qu’il propose de faire résider l’enfant chez PR – refusé jusqu’alors – . Dès lors, c’est l’autre parent (l’ex PG) qui ne peut plus rendre à l’enfant que des visites contrôlées dans un centre « Espace-rencontre ». Contacts dont, au demeurant, il assumera la charge financière. De surcroît, on met souvent en place une thérapie individuelle censée déconditionner l’enfant de l’influence néfaste du parent aliénant et lui réapprendre à aimer son nouveau gardien. On met également en place des entretiens spécialisés avec ce dernier, pour chercher des moyens positifs de gérer le quotidien de l’enfant et de lui faire des commentaires judicieux sur la situation.

Tout n'est pas à rejeter dans cette méthodologie gardnerienne, mais elle généralise et réduit trop les problèmes à une causalité linéaire simpliste « Parent gardien exerçant une mauvaise influence ? enfant victime qui s’ignore ».
G. La prise en charge multidisciplinaire : notre point de vue

1.    Le cadre de l'intervention

Chaque situation référée doit être examinée sans a priori par une petite équipe constituée de professionnels expérimentés (psys, travailleurs sociaux, médiateurs, etc.) (Viaux, 2001) . Voici quelques repères utiles dans la mise en place du cadre de travail, en référence à trois identités possibles de l’intervention.

D’abord, il y a l'expertise - une mission clairement définie par un mandat judiciaire - ; elle vise à aider le juge à mieux comprendre et à décider en fonction des éléments psychologiques et relationnels en cause. Un rapport clôture bien évidemment ce travail.
Une petite équipe composée de deux ou trois personnes, permet de recevoir séparément chacun des trois protagonistes du drame qui se joue. En effet, il n'est pas souhaitable de recevoir ensemble l’enfant et PG, celui-ci étant susceptible d’influencer négativement celui-là en présence de l’intervenant embarrassé et passif (et donc confirmant involontairement le discours de PG), ou se montrant rapidement dubitatif et hostile (et donc, entravant l’alliance entre l’enfant et lui) (Hayez, de Becker, 1997). Corollairement, il n'est pas judicieux non plus de mettre en présence d'emblée l'enfant et PR. Cette étape de travail n'est envisageable que si l'expert entrevoit la possibilité, ce faisant, d'avancer vers un dénouement du refus de contact dans le cadre de l'expertise. C'est ce que le jargon juridique appelle une "tentative de conciliation pendant l'expertise".
Si l’enfant est censé être trop anxieux ou trop jeune pour venir seul à un entretien, on peut le faire accompagner par une personne de confiance qui n’est pas le parent gardien ; prendre beaucoup de temps pour l’apprivoiser en parlant de choses générales ; après, essayer quand même de le recevoir seul.
Il est souvent inutile de recevoir les alliés de chaque parent ; il est superflu et très insécurisant pour l’enfant d’interroger des personnes tierces (son école, son médecin traitant, son thérapeute). Par contre, on lira très attentivement tous les documents liés à l’affaire et que chaque parent a en sa possession (rapports médicaux et psychologiques ; documents judiciaires préalables, etc.)

Vient ensuite la demande d’examen initialement unilatérale à la requête d'un seul des parents. Il ne s'agit pas d'une expertise puisque ce n'est pas le tribunal qui mandate le professionnel. Cependant, le parent demande explicitement un rapport – unilatéral – pour une procédure judiciaire. L'intervention est donc ici également dans le champ judiciaire et ne peut être considérée comme un acte thérapeutique.

- Si l’on a accepté de travailler à la seule demande du PG, la décision de convoquer également et à un moment judicieux PR est de la responsabilité de l’intervenant et se prend au cas par cas. « Le moment judicieux », c’est souvent le plus vite possible. Plus on avance avec un seul parent, plus l'autre parent nous identifiera comme « de l'autre camp ».
Dans ce contexte particulier, on gagne à faire signer tout de suite un document par PG, le demandeur, où :
    - Il s’engage à fournir en lecture tous les documents en sa possession, sans la moindre restriction. Si l’on constate qu’il ne respecte pas cette règle, il doit savoir que l’on mettra fin sur le champ aux investigations entamées. L’expérience a montré que cette précaution était des plus utiles, pour éviter oublis ou manipulations volontaires ;
    - Il marque son accord pour que le rapport écrit qui clôture le travail soit envoyé par l’intervenant à tout qui celui-ci trouve judicieux, donc éventuellement à PR s’il peut en résulter du positif pour l’enfant.

- Si l’on accepte de travailler à la seule demande de PR, tout ce qui vient d’être dit demeure d’application. Entre autres, s’il persiste quand même de rares visites de l’enfant au domicile de PR, la décision de le recevoir à cette occasion se prend au cas par cas.

Il arrive enfin que PG ou PR s'adresse au psychologue ou au pédopsychiatre non pour obtenir un rapport sur la situation, mais avec le souhait de trouver une aide pour résoudre le problème … c’est du moins ce qui est déclaré !
Dans ces cas, il est souhaitable, avant de recevoir l'enfant, de rencontrer chacun des parents, ensemble ou séparément. Si, dans ces situations tendues, on peut rencontrer l'enfant en lui annonçant qu'on a déjà pu parler avec ses deux parents, on crée pour lui un espace de travail et de confiance tout différent que si un seul parent a été rencontré. (Kinoo, 2001)
S’il fonctionne comme psychothérapeute, l'intervenant s’engage formellement à ne pas rédiger de rapport. On est dans un cadre thérapeutique, et la confiance nécessaire exige l'application d'un strict secret professionnel.

2.    Quelles solutions ?

Dans les deux extrêmes de la courbe de Gauss étiologique déjà évoquée, c’est relativement simple : des mesures radicales doivent être prises dans un cadre judiciaire,.
-De rares fois, il est clair que le parent gardien actuel est un agent hautement toxique, en ordre principal ou exclusif (par exemple: mère en perpétuel débordement émotionnel, paranoïde, sans la moindre objectivité, qui entraîne indéfiniment l’enfant dans une forte ambiance de persécution ; quelques rares cas de psychose ; parent qui a déjà arraché un enfant à l’autre parent, bien investi et aimé, dans le cadre d’un enlèvement religieux, culturel ou narcissique).
Alors, une décision judiciaire doit le plus souvent confier l’enfant en garde à celui qui était jusqu’alors le parent refusé (ou à celui de qui il a été violemment arraché), avec les soutiens psychologiques nécessaires pour assurer la transition. On conçoit sans peine qu’un cadre judiciaire vigilant et ses services sociaux exécutifs sont absolument nécessaires pour y réussir. Aussi longtemps que son attitude ou sa conviction ne changent pas, le parent jusqu’alors gardien ne doit plus avoir avec l’enfant que des contacts réduits et accompagnés, et encore, s’il parvient à ne pas s’y montrer négatif. Les contacts informels doivent être interdits (lettres, téléphone, contacts surprise à la sortie de l’école …). Ce parent jusqu’alors gardien, très frustré et malheureux de la décision prise, doit être soutenu psychologiquement lui aussi, dans toute la mesure du possible.
Dans de rares cas de cette catégorie, le parent jusqu’alors refusé n’est guère disponible pour élever l’enfant au quotidien lui non plus, et il faut envisager un placement de l’enfant en milieu tiers avec un bon encadrement psychologique (famille élargie, famille d’accueil, maison d’enfants …). A noter que l’indication du placement, c’est l’indisponibilité du parent jusqu’alors refusé et non une quelconque volonté de ménager le parent jusqu’alors gardien, dont on redouterait les réactions !

-Dans les situations inverses, plutôt rares elles aussi, PR est estimé franchement toxique, et l’on peut travailler en miroir de ce qui précède.

Attention toutefois à la question d’un abus sexuel qu’il aurait commis et qui demande un raisonnement particulier. Le principe le plus fondamental est que, si un adulte a abusé d’un enfant, qu’il le reconnaisse ou non, il est toujours injuste, traumatisant ou pervertissant pour ce dernier de continuer à avoir des contacts avec l’abuseur, aussi longtemps que celui-ci n’a pas reconnu les faits et demandé pardon, et qu’on n’est pas raisonnablement certain de la non-récidive.
 Partant de là, la suspension des contacts est facile à mettre en place si les faits on été reconnus. Elle devrait durer aussi longtemps que l’enfant dit Non, par peur, dégoût ou incapacité de pardonner.

Par ailleurs,s’il est probable que l’abus a eu lieu, mais qu'il n’a pas été reconnu par l’auteur et qu’un Tribunal pénal a prononcé un non-lieu, un Tribunal pour mineurs devrait être mis en place et protéger l’enfant. Cette protection consistera en une suspension des contacts avec l’adulte suspect, vu les angoisses que génèrent la mise en présence de l’enfant avec l’adulte qui ne reconnaît rien ! Suspension qui devrait durer au moins aussi longtemps que l’enfant refuse la reprise de contacts et n’est pas estimé être en mesure de se protéger personnellement si on l’importunait à nouveau  L’idée à la mode,de confier l’enfant et le parent très suspect à un Espace-Rencontre  pour une reprise progressive des contacts  est, dans ce cas-ci, contraire à l’intérêt de l’enfant. Ce serait vouloir le conditionner à se montrer positif avec quelqu’un qui n’a pas reconnu sa nuisance et s’avère toujours susceptible de lui nuire !
Enfin, si la suspicion d’abus est l’objet d’une instruction pénale, un Tribunal pour mineurs devrait être mis en place et prendre des mesures conservatoires préventives identiques. Le fait que, actuellement, des parents gardiens soient parfois poursuivis pour non présentation d’enfant au cours de semblable procédure est ahurissant et scandaleux (Hayez, 2004, pp. 179 à 187).

- Malheureusement, dans la majorité des situations, la multifactorialité des forces en présence est plus confuse et plus complexe. Voici  quelques repères utiles dans ce contexte :

1) Il faut arrêter de penser que l’enfant ne pense pas. Même s’il a été influencé directement ou indirectement, même s’il désire se conformer à l’un ou l’autre, les idées qu’il émet résultent toujours d’une synthèse personnelle. Il faut donc le considérer comme un interlocuteur valable et s’expliquer avec lui comme avec ses parents.

2) Le plus souvent avec l’appui déterminant d’un service judiciaire, la communauté des intervenants en place doit mettre de l’énergie pour que des contacts concrets continuent à exister entre PR et l’enfant. Au minimum - hélas assez fréquent - il faudra s’en tenir à des contacts quantitativement réduits dans un centre « Espace-Rencontre ». Parfois, on obtiendra un peu plus  : par exemple, un jour de visite tous les mois … quelques jours ensemble aux vacances.
Lors des rencontres PR-enfant, beaucoup d’idées sur la pédagogie quotidienne élaborée dans la mouvance Gardner sont intéressantes : notamment que PR se montre naturel et positif, plutôt que récriminer contre PG et  vouloir convaincre et acheter l’enfant à tout prix.

3) Si la situation reste clairement négative entre les parents, c'est une illusion de penser qu’une garde alternée imposée soit une bonne solution de vie pour l’enfant, même si PR la demande à corps et à cri comme une manière de lui rendre justice . La haine ne s’apaise pas « au nom de l’enfant », qui n’a rien d’un médicament tranquillisant ; et du coup, l’alternance le soumet à haute fréquence à de lourds orages exarcerbés par ses allers et retours.

4) Jusqu’à quel point insister pour faire obéir PG lorsqu’il demeure rétif même aux jugements des Tribunaux ? Cette question reste pour nous sans réponse certaine! Dans ce contexte, les efforts des magistrats et des autres intervenants  psycho-sociaux s'effritent souvent face à la résistance de PG… et plus rien ne se passe du tout… !
De loin en loin, c'est plus sanglant, mais est-ce vraiment sage? :
Envoyer PG en prison en punition de son obstination constitue quasi toujours un traumatisme psychique grave pour l’enfant. Ne pas envoyer le parent en prison est aussi un choix d’intelligence prospective : imagine-t-on vraiment que l’enfant puisse un jour aimer PR qu’il associe inévitablement à une décision aussi barbare ?
Alors, une astreinte financière proportionnelle aux revenus de PG ? C'est une technique juridique fort utilisée dans d'autres domaines. Elle semble peu utilisée dans le droit familial. En tout cas, nous n'avons pas d'expérience de situations traitées de la sorte.
Obliger l’enfant à aller vivre en permanence chez PR ? Ce sera rarement une solution…Quand on s’y emploie quand même, on doit bien souvent commencer par une violence institutionnelle traumatisante (des intervenants le conduisent de force du domicile de PG à celui de PR). Dans ce type de situations à implication multifactorielle, on ne peut accepter les affirmations généralisantes faites par la mouvance Gardner, qui affirment que des enfants déracinés de chez PG redeviennent très vite heureux chez PR. Ce pourrait être le cas dans les situations où PG et lui seul était franchement toxique. En dehors de cela, le pseudo bonheur de l’enfant est une forme de conformisme sous la terreur.

5) Une application, heureusement rare, est particulièrement problématique : c’est le cas où, dans ce contexte du bras de fer réciproque, un parent – par exemple la mère – kidnappe l’enfant : lors d’un moment de visite chez elle, elle l’emmène dans un autre pays et commet de la sorte une grave erreur, même si c’est le désespoir ou la conviction que l’autre est mauvais qui l’anime. Lorsque, souvent bien plus tard, la chose est jugée, le Tribunal a tendance à rendre l’enfant à l’autre parent, en référence à la gravité du délit et à la valeur exemplative du jugement. Ici, nous devons réfléchir dans une logique du moindre mal. Surtout pour montrer à une société que certaines règles sont importantes à respecter, nous avons tendance à adhérer à cette prise de position des Tribunaux. Nous ne sommes néanmoins pas sûrs que c’est toujours au nom du plus grand bien de l’enfant, qui va de nouveau s’en trouver déraciné. Il faut également veiller à ce que, par la suite, le parent qui a procédé à l’enlèvement garde des bons contacts avec son enfant, et qu’on ne le diabolise pas ! Or, c’est loin d’être habituel : s’abritant derrière son bon droit retrouvé, le parent qui vient de récupérer l’enfant fait mille misères à l’autre, et la société, elle aussi, peut se venger du moment d’égarement qu’a eu ce parent kidnappeur en restreignant son accès à l’enfant ou en l’obligeant à une thérapie de reconditionnement !

6) En dehors de ce cas très particulier, l’essentiel restera toujours le retour au point 2 précédent : l’investissement intensif sur le terrain de services sociaux d’État et d’autres intervenants, oeuvrant de façon tenace pour rétablir le dialogue entre les parents, même sous contrainte, et pour maintenir des contacts enfant-PR.
Et si cela échoue ? Tant pis, il faut se souvenir du jugement de Salomon , et se résigner éventuellement à ne pas voir l’enfant pendant une durée indéterminée, précisément parce qu’on l’aime.
 
Bibliographie :

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Côté D., La garde partagée, l’équité en question, Montréal, Editions du remue-ménage, 2000.

Dandoy N., Kinoo Ph., Vandermeersch D., Allégations d'abus sexuels et séparations parentales, Louvain-La-Neuve, Perspectives criminologiques, Ed. De Boeck, 2003

De Vroede N., La problématique des enlèvements parentaux, comment sortir de l’impasse ? Journée nationale des droits de l’enfant du 20/11/2001 – texte disponible sur le site http://membres.lycos.fr/alienationparentale/forum.htlm

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Hayez J.-Y., de Becker E., L’enfant abusé sexuellement et sa famille : évaluation et traitement, Paris, PUF, 1997.

Hayez J.-Y., La sexualité des enfants, Paris, Odile Jacob, 2004.

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Kinoo Ph., La prise en charge d'enfants de parents séparés : éthique et technique, Louvain-La-Neuve, Enfances/Adolescences, 1, De Boeck, 2001

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Viaux J.-L., Etude des contentieux avec allégations d’abus sexuel dans les séparations parentales, Laboratoire Pris-Université de Rouen, 2001.

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A.   Introduction

Nous avons désiré rédiger une sorte d’essai, qui fasse le point sur notre pratique clinique et sur nos connaissances, autour de ce douloureux problème des séparations parentales très difficiles. Nous voulions apporter notre témoignage à leur propos, sans simplifier, et en espérant que les pistes de prise en charge proposées puissent aider nos collègues ou/et susciter un débat avec eux. D’autant que nous sommes persuadés que ces problèmes ne feront que croître, à l’unisson de l’augmentation persistante des couples qui se séparent.

Nous nous sommes également engagés à écrire parce que nous sommes effrayés face à certaines réactions sociales :

- D’aucuns abusent du terme « aliénation parentale » – pourtant non validé scientifiquement - et ne sont pas loin d’y ranger toutes les situations où existent des difficultés majeures de rencontre parent-enfant … ils franchissent alors trop aisément le pas qu’a franchi Gardner, en recommandant des mesures de déplacement violentes pour l’enfant chaque fois que la situation reste grave et rebelle à d’autres approches.

- D’autres pensent que l’hébergement alterné doit s’appliquer dans ces cas où les parents passent leur vie à se déchirer : ce serait une sorte de médicament, apte à calmer au seul nom de l’enfant. Ce n’est pas notre expérience ! En attendant, il faut se rappeler que la garde alternée n’est pas une obligation légale, mais une préférence du législateur en France.

B.    Genèse de la notion d’aliénation parentale

Après la séparation du couple parental, il existe dans un nombre non négligeable de cas des difficultés de circulation de l’enfant[1] entre ses parents. Elles peuvent s’avérer importantes et durables, jusqu’au refus total et permanent d’encore séjourner chez un parent.

Il y a une vingtaine d’années, un psychiatre nord-américain, R. Gardner, a donné une identité officielle à ces situations connues depuis longtemps, en les appelant « syndrome d’aliénation parentale » (Gardner, 1992) ; il lui a donné aussi une apparence scientifique , en schématisant et en résumant sa description en critères cliniques très concrets, dont la présence en nombre significatif doit faire diagnostiquer la présence de son syndrome[2]. Les plus importants tournent autour du dénigrement inobjectif et passionné du parent contesté (PR, pour parent refusé) (et de ses alliés) par l’enfant, sous l’influence déterminante du  parent chez qui se passe la vie quotidienne (PG, pour parent gardien) (et de ses alliés). Gardner y inclut un critère qui coupe l’herbe sous le pied à tout doute et à toute critique : dans l’ambiance générale de sa description, l’enfant serait incapable d’avoir une pensée personnelle malgré qu’il affirme vigoureusement le contraire : s’il se prétend être un « penseur indépendant » et insiste à ce propos, l’auteur y voit précisément la preuve qu’il ne l’est pas.

Certains scientifiques, pas en très grand nombre, ont suivi Gardner et continué à promouvoir l’idée du SAP (par exemple Lovenstein, 1998 ; Major 2000). Parmi les tentatives les plus confusionnantes dans ses effets potentiels, il y a celles de Kelly (2001), qui a coupé la définition clinique de tout lien étiologique. Cela revient à dire que dès qu’un enfant dénigre un parent de façon disproportionnée par rapport à la réalité et ne veut plus aller en visite chez lui, il s’agit d’un SAP, quel que soit le panachage des responsabilités en jeu !

Ce cadre conceptuel étant proposé, il s’est passé ce que l’on pouvait redouter : on y a fait entrer beaucoup de vignettes cliniques. Parfois des bien légères, sans examiner soigneusement si l’on correspondait vraiment aux critères gardneriens officiels, qui ont une pondération de gravité. Mais surtout sans grand souci de l’étiologie, ce qui revient à dire que l’on étiquette indûment comme parents activement aliénants nombre de PG alors que l’on se trouve dans la catégorie majoritaire des causalités multifactorielles que nous  allons évoquer bientôt.

Ce « remplissage en vrac » a parfois été le fait d’intervenants naïfs et peu formés, à la recherche d’une sécurité intellectuelle et de recettes pour guider leur action. S’en tenir à une explication causaliste linéaire est également le fait de certains « spécialistes » de la séparation parentale, surtout ceux qui se sont formés aux méthodes gardneriennes et qui sont ici juge et partie.

Mais, dans le chef d’autres promoteurs du concept, c’est une stratégie beaucoup plus concertée. Des associations composées de parents refusés – en grande partie des pères – prétendent haut et fort que, pour chacune de leurs situations particulières, on se trouve bel et bien dans le cadre d’une aliénation parentale. Et elles se sont souvent constituées en véritables lobbies[3], cherchant à influencer les scientifiques, les magistrats, l’opinion publique, etc. Or, la composition de ces groupes est plus complexe qu’il n’en a l’air : à côté d’une présence minoritaire de parents réellement victimes d’injustice et d’aliénation, il y en a davantage qui sont en bagarre et en rivalité perdurantes avec leur ex-conjoint : sorte d’énormes bras de fer où ce qui compte, ce n’est pas vraiment le bonheur de l’enfant, mais plutôt finir par l’emporter sur l’autre. Ces lobbies sont souvent intellectuellement puissants et leurs membres ont des statuts sociaux forts et donc leurs revendications et leurs pressions sur les idées de la communauté sont efficaces. Les mouvements féministes voient même dans celles-ci une passe d’armes plus générale dans la lutte sociale entre le pouvoir des hommes et celui des femmes[4] (Côté, 2000).

Revenons donc à plus de sérénité : certes, nous confirmons que des difficultés graves de circulation de l’enfant entre ses parents sont susceptibles d’exister, mais…...

C.    Quelles sont les motivations en jeu ?

Les motivations à l’œuvre pour rendre compte de ces difficultés majeures de circulation sont complexes et variées. Schématiquement, nous en retiendrons trois catégories, réparties sur une sorte de courbe de Gauss. A un extrême se trouvent celles dont PR est le principal ou l’unique responsable. A l’autre celles qui sont dues à PG. Au centre, se trouvent les situations les plus fréquentes, multifactorielles, où chacun y met du sien en agressivité. Néanmoins, cette catégorisation qui ne tient compte que des facteurs parentaux est simplificatrice et boiteuse, car l’enfant aussi y met du sien et il existe même une minorité de situations ou c’est lui tout seul qui se construit une représentation négative de PR.

1.  PR a provoqué le refus

Au premier  extrême, c’est donc PR qui a provoqué, principalement ou exclusivement, que l’enfant le perçoive comme un repoussoir.

Il peut avoir été et demeurer l’agent principal de blessures relationnelles profondes, dont voici quelques exemples :

- Du temps où le couple vivait ensemble, PR était l’auteur de fortes violences envers son conjoint (le plus souvent, l’homme envers la femme). Que l’enfant ait reçu des coups lui-même ou non n’y change pas grand chose : il s’est imprimé dans son psychisme l’image d’un adulte violent, qui a fait du mal à PG que l’enfant aime et parfois protège ou défend.

- Du temps où le couple vivait ensemble, PR n’investissait en rien l’enfant. Après la séparation, s’il se met à réclamer des visites, sa motivation principale semble être de continuer à harceler son ex plus que de chérir vraiment l’enfant (Hester et Ralford, 1996). Ou alors, la motivation de PR est plus carrément financière et inavouée[5].

- PR s’est remis en ménage avec un compagnon ou une compagne qui n’aime pas l’enfant et le manifeste de façon subtile ou grossière. Ce que l’enfant refuse, c’est de fréquenter le système constitué par PR et son nouveau conjoint. Implicitement, il reproche à PR son  inefficacité ou sa lâcheté au moment où il faudrait le défendre lui, l’enfant, contre l’injustice du « nouveau ».

- PR - le plus souvent le père – a « plaqué » femme et enfants pour se jeter dans les bras d’une très jeune femme. Nombre de grands enfants et d’adolescents ne peuvent pas lui pardonner cette trahison qui les laisse orphelins, parfois brutalement, qui introduit gêne matérielle et souffrance morale dans la famille délaissée … tout ça pour le sexe ou l’illusion d’un bain de Jouvence.

-Lors du séjour chez un parent, des enfants peuvent être maltraités ou abusés sexuellement par celui-ci ou l’un de ses proches. S’en plaignent-ils spontanément ou refusent-ils sous l’un ou l’autre prétexte d’encore fréquenter ce parent ? C’est le cas pour une minorité d’entre eux, les plus grands surtout, soit qu’ils verbalisent ce qui leur est arrivé (rare !), soit qu’ils montrent leur souffrance et leur refus à travers les signes nouveaux d’un comportement perturbé. Mais la majorité des enfants abusés dans un tel contexte sont des enfants (très) jeunes qui le sont de façon soft (sans violence, mais dans des « jeux » ou de la séduction) et ils ne comprennent pas bien ce qui leur arrive ; donc ils ne se plaignent pas et c’est par hasard que PG découvre qu’il y a eu abus[6] ; ou alors, ces petits enfants ont quand même la vague intuition qu’il s’est passé quelque chose d’anormal et, presque sans le vouloir consciemment, ils font passer à PG un « innocent » test de vérification (« Maman, tu mets aussi ton doigt dans ma mimine ? » demandera telle petite fille au bain). Il s’en suit alors une cascade d’interrogations et de réactions émotionnelles entre l'enfant et PG. Quelques fois, PG peut réagir en cherchant avec délicatesse, sans tout de suite dramatiser, une aide pour comprendre et résoudre le problème. Mais bien plus souvent les réactions émotionnelles anxieuses, indignées ou hostiles de PG poussent l'enfant à  épouser étroitement ce que vit celui-ci, et même à en remettre ou à se calquer sur une part de débordement imaginaire qui envahit parfois PG.

2.  C’est PG qui provoque le refus

A l’autre extrême, c’est PG qui dysfonctionne principalement et relève alors vraiment de l’appellation de parent aliénant : il détourne l’enfant du contact avec PR en dénigrant ce dernier d’une manière soit totalement non justifiée, soit via des exagérations non fondées.

PG peut agir seul, souvent en raison d’une forte problématique psychologique personnelle : psychose[7], personnalité paranoïde, histoire de vie particulièrement lourde, dont des éléments sont projetés indûment sur PR. Il n’est pas rare alors qu’il reconstitue un petit château fort bien barricadé, socialement isolé, dans lequel il s’enferme avec l’enfant. Surtout quand il vit seul avec celui-ci, sa manière de dénigrer PR peut être des plus subtiles et n’être mise en évidence que par une observation attentive. Par exemple, PG manipule les souvenirs anciens de l’enfant ; il parle de façon méprisante et négative de PR à des tiers sans s’adresser directement à l’enfant ; il leur fait notamment remarquer toutes les injustices que PR lui a fait subir ; il organise les visites chez PR à des moments frustrants pour l’enfant et organise des « passages » laborieux (Van Gijseghem, 2003).

Plus souvent néanmoins, PG dispose d’alliés dans sa famille d’origine. Il souffre alors, soit d’une des pathologies tout juste évoquées, soit d’une « simple » et forte immaturité affective, qui entrave son indépendance par rapport à sa famille d’origine : alors, ce sont les propres parents de PG qui montent au créneau et enveniment les choses.

Le terme aliénant est donc à prendre avec un double effet. Par son dysfonctionnement, PG aliène (rend étranger) le PR à l'enfant. Mais il aliène aussi l'enfant à lui-même, en abusant de son pouvoir psychologique pour détruire l'image de PR construite par l'enfant et imposer la sienne.

C’est dans ce contexte de vraie aliénation que de fausses allégations d’abus sexuel sont portées à l’égard de PR. Il faut toutefois garder la tête froide à propos de l’épidémiologie de celles-ci. Contrairement à ce que dit la rumeur, elles ne sont plus en extension et ont même un peu régressé après un « pic » entre 1996 et 1999[8].

Le parent aliénant est parfois convaincu de bonne foi, en référence à ses propres vécus et problèmes psychologiques qu'il projette sur l'enfant. Ailleurs au contraire, il invente délibérément : « C'est ma mère qui m'a dit qu'avec cette plainte, je gagnerai sûrement mon divorce », reconnaîtra dépitée une maman, plus inconsciente des effets de son accusation que réellement haineuse. Mais le plus souvent, l'allégation d'abus survient dans un contexte de conflit, de haine, de peur, où le moindre élément (une rougeur près des zones génitales, un geste de l'enfant, …) devient symptôme puis conviction. (Kinoo, 1999)

Quoi qu’il en soit, ce sont des familles où une prise en charge thérapeutique impliquant l'enfant et ses deux parents est nécessaire. L'intervention judiciaire seule constitue rarement une solution suffisante. (Kinoo, 1998 et Dandoy, Kinoo, Vandermeersch, 2003)

Il y a aussi les dramatiques problèmes liés à la différence culturelle ou religieuse qui pèse de tout son poids après la séparation du couple, souvent un couple de deux nationalités différentes. Ici un des partenaires, souvent le père, n’hésitera pas à enlever activement l’enfant ou à ne pas le restituer après un séjour chez lui ; faisant fi de l’attachement qui existait entre l’enfant et l’autre parent, il coupera radicalement le premier de tout contact avec le second. Une motivation d’orgueil et de haine contre l’ex-conjoint s’ajoute fréquemment aux raisons d’ordre culturel et religieux et malheureusement, les législations du pays où l’enfant a été emmené peuvent soutenir le parent aliénant.

3.  L'enfant seul provoque le refus

Dans d’autres cas, pas très nombreux non plus, le refus est principalement le fait du seul enfant. Les tranches d’âge concernées ici sont les enfants en âge préscolaire et les préadolescents ou les adolescents. Consciemment et fondamentalement, PG préfèrerait que ce refus n’existe pas, car il lui complique la vie. PR, lui, ne croit pas facilement que c’est l’enfant qui est en cause et accuse PG ; celui-ci se voit doublement victime : de son ex-conjoint et de l’enfant ; il essaie donc de faire changer l’option de ce dernier, mais en vain[9].

A l’origine de ces refus, on peut invoquer :

- Surtout chez les plus jeunes, la simple angoisse à anticiper la rencontre avec PR, devenu lointain et étranger ; l’angoisse que ce parent ne découvre les désirs œdipiens de l’enfant et ne le punisse pour cela (« Papa ne peut pas savoir que je me sens le petit homme de maman »).

- La très banale angoisse surajoutée d’être réprimandé et puni parce qu’on a été irrégulier ou de mauvaise humeur lors des visites précédentes (faille qui se creuse de plus en plus, de ce seul chef).

- Le conflit de loyauté que l’enfant éprouve tout seul après la séparation, surtout si celle-ci reste litigieuse entre adultes ; une manière simple de s’en sortir est de se représenter qu’il y a un bon et un mauvais parent et d’agir en conséquence (Van Gijseghem, 2003, p 25). Et tel enfant, narcissique ou anxieux peut s’acharner dans son opinion, pour ne pas vivre la honte de changer d’avis ou la crainte d’être mis en présence du parent dénigré.

4.  Les causes multiples

Néanmoins, dans la majorité des situations où un parent est refusé, les causes sont multiples. Dans l’histoire du couple et de la famille, chacun a déjà joué sa part de rôle hostile à l’autre, et il continue après la séparation.

En voici quelques exemples :

- Quand le couple vivait encore ensemble, le père se comportait plutôt durement avec la mère et se montrait peu impliqué dans le relation à l’enfant ; après séparation, il continue à faire beaucoup d’ennuis à la mère ; il a l’air d’exiger les visites de l’enfant « pour le principe » et n’a pas su s’occuper positivement de lui les premières fois où l’enfant a été le voir. La mère ne l’aime pas, ça c’est clair ; même si elle ne le dénigre pas ouvertement, elle est incapable de faire passer l’image du « bon père » qu’il n’a pas été jusqu’à présent. C’est probablement ici que se situe le mécanisme de « transmission inconsciente » par un parent de l’image négative qu’il a de l’autre. L’enfant capte les composantes souvent subtiles de cette transmission inconsciente et fait siennes les idées et les affects les plus intimes de ce parent. Les grands parents maternels sont bien présents et sur la même longueur d’onde que leur fille. L’enfant, anxieux ou très attaché à la mère, finit par fuir les contacts avec son père.

- On assiste parfois à l’amplification « de bonne foi » de certaines inquiétudes sexuelles (un anus un peu rouge devient un anus possiblement abusé). La maman ne fait rien, ne consulte pas et ne porte pas plainte, mais son inquiétude, dont s’imprègne l’enfant, alimente le cercle vicieux qui entraîne la situation vers le refus.

- De très forts conflits existent depuis toujours entre les parents et expriment leur rivalité et la volonté de pouvoir de chacun sur l’autre. Quoi qu’ils prétendent, l’enfant n’a jamais vraiment compté foncièrement comme personne dans ces conflits : objet de litige, objet que l’on se dispute, objet de chantages, il est manipulé par chacun des parents, parfois à l’insu de la volonté consciente de ceux-ci. Quand l’un des deux en a la garde au quotidien, il l’accapare jalousement et dénigre son ex. Celui-ci hurle, mais fait exactement la même chose si d’aventure l’enfant séjourne chez lui. L’enfant, soit s’aligne sur le point de vue d’un de ses parents, soit se conforme prudemment aux propos du camp dans lequel il réside pour le moment.

D.   Émergence de ces situations dans le champ psychosocial ou judiciaire.

Jusqu’ici, nous avons décrit des fonctionnements relationnels familiaux pouvant amener à des refus.

Nous décrirons maintenant quelques modalités d’apparition de ces difficultés intrafamiliales chez les intervenants psychosociaux, ou chez les intervenants judiciaires.

On se trouve face à un fatras de revendications, de bras de fer, de mensonges et de manipulation. La tension relationnelle peut être extrême, avec des moments de rage ou de vrai désespoir. Selon les étiologies, l’écoute de chacun dans ce qu’il vit aujourd’hui et la reconstruction patiente de l’histoire familiale mettront en évidence des éléments importants … mais dont la signification ne peut être interprétée qu’avec une très grande prudence. Attention aux déductions hâtives et aux subtilités, non apparentes à une écoute superficielle ! Dans ces histoires compliquées, il faut se souvenir que chacun est susceptible de penser pour son propre compte et de manigancer, y inclus l’enfant.

Attention aussi aux conclusions basées sur l'écoute du discours d'un seul parent.

On ne devrait confier l’examen de telles situations qu’à des professionnels chevronnés. Nous y reviendrons.

Parmi les expériences évoquées, on voit surgir de temps en temps l’allégation d’un abus sexuel commis par PR ou l’un de ses proches : ce sont PG et l’enfant qui l’énoncent, chacun avec une intensité, un degré de concret et une fiabilité variables au regard des méthodes d’analyse du discours bien codifiées et validées (essentiellement le SVA québécois). Ces derniers temps, le seul énoncé de l’allégation provoque un grand réflexe de crispation chez beaucoup d’intervenants, a priori qui joue davantage au détriment du parent et de l’enfant qui accusent que du parent accusé. Ces parents accusateurs – souvent des mères – risquent même de perdre la garde de l’enfant si l’on ne trouve pas de preuves claires à l’appui de leurs dires. A tout le moins se montre-t-on souvent inerte pour suspendre les contacts entre l’enfant et le parent suspect, même au moment de l’instruction judiciaire ; et si PG se rebiffe face à ce qu’il croit être la répétition d’un danger pour son enfant, il peut s’attendre aux pires ennuis (Hayez, 2004) ! Tout cela est-il bien serein et juste ?

On affirme également de loin en loin qu’il y a eu un enlèvement d’enfant. En 2001, N. de Vroede, alors premier substitut au Parquet de Bruxelles, avançait les chiffres très élevés de 17 enfants « déplacés » chaque mois (de la Belgique vers l’étranger), sans le consentement du parent resté en Belgique. Réciproquement, 12 enfants étaient déplacés chaque mois vers la Belgique. 2/3 des parents « déplaçant » étaient belges, tout comme 2/3 des parents à qui l’on soustrayait l’enfant (N. de Vroede, 2001).

Néanmoins, le terme « déplacés » est un fourre-tout dans lequel il faut distinguer :

- Quant à leur forme externe, de véritables kidnappings, plus ou moins effrayants (minoritaires), et des décisions unilatérales de mettre fin à un droit de visite rendu à PR, avec ou sans déménagement voire changement de pays dans le chef de PG (majoritaires).

- Quant à leur temporalité, des phénomènes transitoires, auxquels succèdera une laborieuse reprise de contacts avec PR, et d’autres programmés comme définitifs par le parent auteur de la « soustraction » de l’enfant.

- Quant aux motivations à l’œuvre, certains « déplacements » constituent des fuites à l’étranger de PG épuisés par un très long bras de fer avec les institutions, notamment judiciaires, parents qui restent persuadés – parfois à tort, parfois à raison – que les contacts avec PR sont dangereux… (minoritaires). D’autres sont des enlèvements internationaux émanant d’un vrai parent aliénant : surtout Nord/Sud quand ce sont des pères chez qui s’intriquent des dimensions narcissiques, d’autres liées à leur image sociale, et des considérations culturelles ou religieuses. Surtout Nord/Nord quand il s’agit de mères toutes-puissantes, qui nient la place du père sous des argumentations fallacieuses.

E.    Effets psychologiques sur l'enfant

Dans les cas où PG est effectivement aliénant, les conséquences psychologiques de son attitude sur l’enfant ne sont pas minces.

- Surtout au fur et à mesure que celui-ci grandit, il n’est pas rare qu’il se rende compte de sa propre inobjectivité lorsqu’il dénigre PR ; cette prise de conscience est au moins partielle et intuitive, mais l’enfant continue néanmoins souvent à dénigrer PR par conformisme prudent ; mais alors il se sent secrètement coupable de sa trahison : son plaisir de vivre diminue et il peut chercher à s’auto-punir de l’une ou l’autre façon[10]. L’enfant peut également persister par orgueil : tout, plutôt que d’avouer que l’on s’est trompé ! Alors, on en remet, plus que jamais, en faisant l’étalage plus intransigeant que jamais des fautes de « l’accusé ».

- Ailleurs, l’enfant suggestionné demeure de bonne foi. Néanmoins, même alors, ça ne lui fait pas du bien que le parent aliénant présente de façon si récurrente PR comme un vrai monstre. Cela peut l’angoisser, surtout s’il est petit (« Un monstre, ça peut surgir n’importe quand avec un sac pour vous kidnapper, n’est-ce pas ? »). Ça peut aussi rendre l’enfant triste et préoccupé, même s’il ne le montre pas trop : il ne peut pas se référer à un papa et à une maman, séparés ou non, comme le font la grande majorité de ses copains ; c’est toujours la monotonie d’un seul parent, et il ne peut jamais se sentir ni se déclarer fier de l’autre. Il y a probablement aussi des failles dans la construction de son identité, surtout s’il est du même sexe que le parent honni : le parent gardien - supposons la mère – aura beau veiller à des contacts amicaux avec d’autres hommes et même se remettre en ménage avec un de ceux-ci, possible substitut paternel pour l’enfant ; elle n’enlève rien au fait qu’elle désavoue indûment la semence et le désir d’homme dont l’enfant est issu ; celui-ci pressent l’interdiction imméritée de s’identifier à son père et peine à aller chercher beaucoup de références sexuées positives ailleurs ; il a même du mal à croire à la valeur de sa propre masculinité, c’est-à-dire des ressources sexuées spontanément présentes en lui – lui qui est issu de ce père déclaré si mauvais …

- Autre évolution possible, c'est l'évolution "caractérielle". On voit alors que si dans un premier temps, PG et enfant ont été en alliance forte et en grande proximité affective pour lutter contre PR, dans un deuxième temps (à l'adolescence le plus souvent), l'enfant utilise les mêmes attitudes de haine, d'irrespect, de violence, de refus d'autorité contre PG, tout en continuant à refuser PR.

- Une fois devenu grand adolescent ou adulte, fait-il mieux la part des choses et reprend-il contact avec PR ? H. Van Gijseghem pense que ce n’est jamais le cas (Van Gijseghem, 2003). Ce n’est pas notre expérience. Nous avons constaté pour notre part que c’est lié à la passivité soumise ou à la haine active que le jeune a exprimée les années précédentes. Plus il a été actif et en colère, moins il lui sera facile de penser qu’il pourrait se réconcilier avec PR, c’est-à-dire, en quelque sorte, obtenir le pardon de celui-ci. Mais ce n’est jamais impossible !

F.    La prise en charge multidisciplinaire : l’optique gardnerienne

Dans cette optique, il  existe une tendance, abusive à notre sens, à interpréter les comportements de mise à distance de PR comme émanant des seules mauvaises influences de PG. Partant, il faut toujours mettre beaucoup d’énergie à maintenir une relation spirituelle positive et des contacts concrets entre l’enfant et PR. Cela nécessite énormément de ténacité de la part des intervenants et le plus souvent une intervention judiciaire appuyée.

Dans les refus moyens ou légers, ces contacts finissent par être restaurés et/ou maintenus ; parfois le minimum acceptable est qu’ils aient lieu dans des centres de médiation spécialisée, sous la supervision de tiers professionnels[11].

Dans les cas graves par contre, le refus de l’enfant persiste et Gardner y voit « la » preuve que PG est aliénant. Il fait donc procéder aux grandes manœuvres, c’est-à-dire qu’il propose de faire résider l’enfant chez PR – refusé jusqu’alors – . Dès lors, c’est l’autre parent (l’ex PG) qui ne peut plus rendre à l’enfant que des visites contrôlées dans un centre « Espace-rencontre ». Contacts dont, au demeurant, il assumera la charge financière. De surcroît, on met souvent en place une thérapie individuelle censée déconditionner l’enfant de l’influence néfaste du parent aliénant et lui réapprendre à aimer son nouveau gardien. On met également en place des entretiens spécialisés avec ce dernier, pour chercher des moyens positifs de gérer le quotidien de l’enfant et de lui faire des commentaires judicieux sur la situation.

Tout n'est pas à rejeter dans cette méthodologie gardnerienne, mais elle généralise et réduit trop les problèmes à une causalité linéaire simpliste « Parent gardien exerçant une mauvaise influence ® enfant victime qui s’ignore ».

G. La prise en charge multidisciplinaire : notre point de vue

1.  Le cadre de l'intervention

Chaque situation référée doit être examinée sans a priori par une petite équipe constituée de professionnels expérimentés (psys, travailleurs sociaux, médiateurs, etc.) (Viaux, 2001)[12]. Voici quelques repères utiles dans la mise en place du cadre de travail, en référence à trois identités possibles de l’intervention.

D’abord, il y a l'expertise - une mission clairement définie par un mandat judiciaire - ; elle vise à aider le juge à mieux comprendre et à décider en fonction des éléments psychologiques et relationnels en cause. Un rapport clôture bien évidemment ce travail.

Une petite équipe composée de deux ou trois personnes, permet de recevoir séparément chacun des trois protagonistes du drame qui se joue. En effet, il n'est pas souhaitable de recevoir ensemble l’enfant et PG, celui-ci étant susceptible d’influencer négativement celui-là en présence de l’intervenant embarrassé et passif (et donc confirmant involontairement le discours de PG), ou se montrant rapidement dubitatif et hostile (et donc, entravant l’alliance entre l’enfant et lui) (Hayez, de Becker, 1997). Corollairement, il n'est pas judicieux non plus de mettre en présence d'emblée l'enfant et PR. Cette étape de travail n'est envisageable que si l'expert entrevoit la possibilité, ce faisant, d'avancer vers un dénouement du refus de contact dans le cadre de l'expertise. C'est ce que le jargon juridique appelle une "tentative de conciliation pendant l'expertise".

Si l’enfant est censé être trop anxieux ou trop jeune pour venir seul à un entretien, on peut le faire accompagner par une personne de confiance qui n’est pas le parent gardien ; prendre beaucoup de temps pour l’apprivoiser en parlant de choses générales ; après, essayer quand même de le recevoir seul.

Il est souvent inutile de recevoir les alliés de chaque parent ; il est superflu et très insécurisant pour l’enfant d’interroger des personnes tierces (son école, son médecin traitant, son thérapeute). Par contre, on lira très attentivement tous les documents liés à l’affaire et que chaque parent a en sa possession (rapports médicaux et psychologiques ; documents judiciaires préalables, etc.)

Vient ensuite la demande d’examen initialement unilatérale à la requête d'un seul des parents. Il ne s'agit pas d'une expertise puisque ce n'est pas le tribunal qui mandate le professionnel. Cependant, le parent demande explicitement un rapport – unilatéral – pour une procédure judiciaire. L'intervention est donc ici également dans le champ judiciaire et ne peut être considérée comme un acte thérapeutique.

- Si l’on a accepté de travailler à la seule demande du PG, la décision de convoquer également et à un moment judicieux PR est de la responsabilité de l’intervenant et se prend au cas par cas. « Le moment judicieux », c’est souvent le plus vite possible. Plus on avance avec un seul parent, plus l'autre parent nous identifiera comme « de l'autre camp ».

Dans ce contexte particulier, on gagne à faire signer tout de suite un document par PG, le demandeur, où :

               - Il s’engage à fournir en lecture tous les documents en sa possession, sans la moindre restriction. Si l’on constate qu’il ne respecte pas cette règle, il doit savoir que l’on mettra fin sur le champ aux investigations entamées. L’expérience a montré que cette précaution était des plus utiles, pour éviter oublis ou manipulations volontaires ;

                  - Il marque son accord pour que le rapport écrit qui clôture le travail soit envoyé par l’intervenant à tout qui celui-ci trouve judicieux, donc éventuellement à PR s’il peut en résulter du positif pour l’enfant.

- Si l’on accepte de travailler à la seule demande de PR, tout ce qui vient d’être dit demeure d’application. Entre autres, s’il persiste quand même de rares visites de l’enfant au domicile de PR, la décision de le recevoir à cette occasion se prend au cas par cas.

Il arrive enfin que PG ou PR s'adresse au psychologue ou au pédopsychiatre non pour obtenir un rapport sur la situation, mais avec le souhait de trouver une aide pour résoudre le problème … c’est du moins ce qui est déclaré ![13]

Dans ces cas, il est souhaitable, avant de recevoir l'enfant, de rencontrer chacun des parents, ensemble ou séparément. Si, dans ces situations tendues, on peut rencontrer l'enfant en lui annonçant qu'on a déjà pu parler avec ses deux parents, on crée pour lui un espace de travail et de confiance tout différent que si un seul parent a été rencontré. (Kinoo, 2001)

S’il fonctionne comme psychothérapeute, l'intervenant s’engage formellement à ne pas rédiger de rapport. On est dans un cadre thérapeutique, et la confiance nécessaire exige l'application d'un strict secret professionnel.

2.  Quelles solutions ?

Dans les deux extrêmes de la courbe de Gauss étiologique déjà évoquée, c’est relativement simple : des mesures radicales doivent être prises dans un cadre judiciaire,.

-De rares fois, il est clair que le parent gardien actuel est un agent hautement toxique, en ordre principal ou exclusif (par exemple: mère en perpétuel débordement émotionnel, paranoïde, sans la moindre objectivité, qui entraîne indéfiniment l’enfant dans une forte ambiance de persécution ; quelques rares cas de psychose ; parent qui a déjà arraché un enfant à l’autre parent, bien investi et aimé, dans le cadre d’un enlèvement religieux, culturel ou narcissique).

Alors, une décision judiciaire doit le plus souvent confier l’enfant en garde à celui qui était jusqu’alors le parent refusé (ou à celui de qui il a été violemment arraché), avec les soutiens psychologiques nécessaires pour assurer la transition. On conçoit sans peine qu’un cadre judiciaire vigilant et ses services sociaux exécutifs sont absolument nécessaires pour y réussir. Aussi longtemps que son attitude ou sa conviction ne changent pas, le parent jusqu’alors gardien ne doit plus avoir avec l’enfant que des contacts réduits et accompagnés, et encore, s’il parvient à ne pas s’y montrer négatif. Les contacts informels doivent être interdits (lettres, téléphone, contacts surprise à la sortie de l’école …). Ce parent jusqu’alors gardien, très frustré et malheureux de la décision prise, doit être soutenu psychologiquement lui aussi, dans toute la mesure du possible.

Dans de rares cas de cette catégorie, le parent jusqu’alors refusé n’est guère disponible pour élever l’enfant au quotidien lui non plus, et il faut envisager un placement de l’enfant en milieu tiers avec un bon encadrement psychologique (famille élargie, famille d’accueil, maison d’enfants …). A noter que l’indication du placement, c’est l’indisponibilité du parent jusqu’alors refusé et non une quelconque volonté de ménager le parent jusqu’alors gardien, dont on redouterait les réactions !

-Dans les situations inverses, plutôt rares elles aussi, PR est estimé franchement toxique, et l’on peut travailler en miroir de ce qui précède.

Attention toutefois à la question d’un abus sexuel qu’il aurait commis et qui demande un raisonnement particulier. Le principe le plus fondamental est que, si un adulte a abusé d’un enfant, qu’il le reconnaisse ou non, il est toujours injuste, traumatisant ou pervertissant pour ce dernier de continuer à avoir des contacts avec l’abuseur, aussi longtemps que celui-ci n’a pas reconnu les faits et demandé pardon, et qu’on n’est pas raisonnablement certain de la non-récidive.

Partant de là, la suspension des contacts est facile à mettre en place si les faits on été reconnus. Elle devrait durer aussi longtemps que l’enfant dit Non, par peur, dégoût ou incapacité de pardonner.

Par ailleurs,s’il est probable que l’abus a eu lieu, mais qu'il n’a pas été reconnu par l’auteur et qu’un Tribunal pénal a prononcé un non-lieu, un Tribunal pour mineurs devrait être mis en place et protéger l’enfant. Cette protection consistera en une suspension des contacts avec l’adulte suspect, vu les angoisses que génèrent la mise en présence de l’enfant avec l’adulte qui ne reconnaît rien ! Suspension qui devrait durer au moins aussi longtemps que l’enfant refuse la reprise de contacts et n’est pas estimé être en mesure de se protéger personnellement si on l’importunait à nouveau[14] L’idée à la mode,de confier l’enfant et le parent très suspect à un Espace-Rencontre  pour une reprise progressive des contacts  est, dans ce cas-ci, contraire à l’intérêt de l’enfant. Ce serait vouloir le conditionner à se montrer positif avec quelqu’un qui n’a pas reconnu sa nuisance et s’avère toujours susceptible de lui nuire !

Enfin, si la suspicion d’abus est l’objet d’une instruction pénale, un Tribunal pour mineurs devrait être mis en place et prendre des mesures conservatoires préventives identiques. Le fait que, actuellement, des parents gardiens soient parfois poursuivis pour non présentation d’enfant au cours de semblable procédure est ahurissant et scandaleux (Hayez, 2004, pp. 179 à 187).

- Malheureusement, dans la majorité des situations, la multifactorialité des forces en présence est plus confuse et plus complexe. Voici  quelques repères utiles dans ce contexte :

1) Il faut arrêter de penser que l’enfant ne pense pas. Même s’il a été influencé directement ou indirectement, même s’il désire se conformer à l’un ou l’autre, les idées qu’il émet résultent toujours d’une synthèse personnelle. Il faut donc le considérer comme un interlocuteur valable et s’expliquer avec lui comme avec ses parents.

2) Le plus souvent avec l’appui déterminant d’un service judiciaire, la communauté des intervenants en place doit mettre de l’énergie pour que des contacts concrets continuent à exister entre PR et l’enfant. Au minimum - hélas assez fréquent - il faudra s’en tenir à des contacts quantitativement réduits dans un centre « Espace-Rencontre ». Parfois, on obtiendra un peu plus[15] : par exemple, un jour de visite tous les mois … quelques jours ensemble aux vacances.

Lors des rencontres PR-enfant, beaucoup d’idées sur la pédagogie quotidienne élaborée dans la mouvance Gardner sont intéressantes : notamment que PR se montre naturel et positif, plutôt que récriminer contre PG et  vouloir convaincre et acheter l’enfant à tout prix.

3) Si la situation reste clairement négative entre les parents, c'est une illusion de penser qu’une garde alternée imposée soit une bonne solution de vie pour l’enfant, même si PR la demande à corps et à cri comme une manière de lui rendre justice[16]. La haine ne s’apaise pas « au nom de l’enfant », qui n’a rien d’un médicament tranquillisant ; et du coup, l’alternance le soumet à haute fréquence à de lourds orages exarcerbés par ses allers et retours.

4) Jusqu’à quel point insister pour faire obéir PG lorsqu’il demeure rétif même aux jugements des Tribunaux ? Cette question reste pour nous sans réponse certaine! Dans ce contexte, les efforts des magistrats et des autres intervenants  psycho-sociaux s'effritent souvent face à la résistance de PG… et plus rien ne se passe du tout… !

De loin en loin, c'est plus sanglant, mais est-ce vraiment sage? :

Envoyer PG en prison en punition de son obstination constitue quasi toujours un traumatisme psychique grave pour l’enfant. Ne pas envoyer le parent en prison est aussi un choix d’intelligence prospective : imagine-t-on vraiment que l’enfant puisse un jour aimer PR qu’il associe inévitablement à une décision aussi barbare ?

Alors, une astreinte financière proportionnelle aux revenus de PG ? C'est une technique juridique fort utilisée dans d'autres domaines. Elle semble peu utilisée dans le droit familial. En tout cas, nous n'avons pas d'expérience de situations traitées de la sorte.

Obliger l’enfant à aller vivre en permanence chez PR ? Ce sera rarement une solution…Quand on s’y emploie quand même, on doit bien souvent commencer par une violence institutionnelle traumatisante (des intervenants le conduisent de force du domicile de PG à celui de PR). Dans ce type de situations à implication multifactorielle, on ne peut accepter les affirmations généralisantes faites par la mouvance Gardner, qui affirment que des enfants déracinés de chez PG redeviennent très vite heureux chez PR. Ce pourrait être le cas dans les situations où PG et lui seul était franchement toxique. En dehors de cela, le pseudo bonheur de l’enfant est une forme de conformisme sous la terreur.

5) Une application, heureusement rare, est particulièrement problématique : c’est le cas où, dans ce contexte du bras de fer réciproque, un parent – par exemple la mère – kidnappe l’enfant : lors d’un moment de visite chez elle, elle l’emmène dans un autre pays et commet de la sorte une grave erreur, même si c’est le désespoir ou la conviction que l’autre est mauvais qui l’anime. Lorsque, souvent bien plus tard, la chose est jugée, le Tribunal a tendance à rendre l’enfant à l’autre parent, en référence à la gravité du délit et à la valeur exemplative du jugement. Ici, nous devons réfléchir dans une logique du moindre mal. Surtout pour montrer à une société que certaines règles sont importantes à respecter, nous avons tendance à adhérer à cette prise de position des Tribunaux. Nous ne sommes néanmoins pas sûrs que c’est toujours au nom du plus grand bien de l’enfant, qui va de nouveau s’en trouver déraciné. Il faut également veiller à ce que, par la suite, le parent qui a procédé à l’enlèvement garde des bons contacts avec son enfant, et qu’on ne le diabolise pas ! Or, c’est loin d’être habituel : s’abritant derrière son bon droit retrouvé, le parent qui vient de récupérer l’enfant fait mille misères à l’autre, et la société, elle aussi, peut se venger du moment d’égarement qu’a eu ce parent kidnappeur en restreignant son accès à l’enfant ou en l’obligeant à une thérapie de reconditionnement !

6) En dehors de ce cas très particulier, l’essentiel restera toujours le retour au point 2 précédent : l’investissement intensif sur le terrain de services sociaux d’État et d’autres intervenants, oeuvrant de façon tenace pour rétablir le dialogue entre les parents, même sous contrainte, et pour maintenir des contacts enfant-PR.

Et si cela échoue ? Tant pis, il faut se souvenir du jugement de Salomon[17], et se résigner éventuellement à ne pas voir l’enfant pendant une durée indéterminée, précisément parce qu’on l’aime.


Bibliographie :

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Viaux J.-L., Etude des contentieux avec allégations d’abus sexuel dans les séparations parentales, Laboratoire Pris-Université de Rouen, 2001.



[1] Pour simplifier, nous emploierons le terme « enfant » pour désigner le ou les enfants issu(s) du couple parental qui s’est séparé. S’il y a plusieurs enfants en jeu, il n’est pas impossible que la position de chacun par rapport à la circulation entre ses parents soit différente, mais nous ne le discuterons pas ici.

[2] Comme les troubles psychiatriques décrits dans le DSM IV.

[3] Ce sont les mêmes lobbies qui revendiquent énergiquement la garde alternée comme « la » solution de vie pour l’enfant après la séparation.

[4] Il faut se rappeler que, dans la majorité des cas après séparation, l'hébergement et l’autorité effectives restent exercés principalement par la mère, et que ça arrange bien tout le monde, même si la loi a mis en place l’idée de l’autorité conjointe. Dans un certain nombre de cas où la garde alternée a été demandée et obtenue, elle reste une virtualité : sur le terrain, la majorité des tâches et des moments de séjour restent affectés à la mère.

[5] Le fait d’obtenir un hébergement alterné peut entraîner que PR n’ait plus de pension alimentaire à payer. Une fois sa requête acceptée, de facto, il confie l’enfant à des tiers, voire même ne demande à le recevoir qu’irrégulièrement et l’enfant devine qu’il n’est qu’une sorte de marchandise.

[6] Par pur hasard ? Ici, la mémoire d’évocation du petit fonctionne spontanément, activée par un stimulus anodin, sans que PG lui ait posé la moindre question. Ou alors, en jouant à haute voix – par exemple avec ses poupées – l’enfant remet en scène plutôt clairement ce qui lui est arrivé et PG qui est dans les parages l’entend…. (Hayez et de Becker, 1997)

[7] En dehors de la psychose paranoïaque ou de la schizophrénie paranoïde, les parents psychotiques ne sont que très rarement détracteurs acharnés de leur ex-conjoint.

[8] Les allégations d’abus existent dans 5 à 7 % des séparations parentales qui sont restées très tendues au fil du temps (Viaux, 2001).

[9] Si PG se montre trop passif et silencieux par rapport au choix de l’enfant, en arguant : C’est lui qui décide, on glisse de facto vers la catégorie D, multifactorielle.

[10] Par exemple, ce pourrait être l’origine de « sabotages » de la réussite de soi, via échecs scolaires ou professionnels.

[11] Ces centres de rencontre entre un parent contesté et l’enfant existent en Belgique sous différentes appellations. L’enfant y passe en général jusqu’à une demi-journée avec son parent, sous la supervision de professionnels (psychologues, travailleurs sociaux) formés à la gestion de ces relations difficiles ; dans la suite du texte, nous les appellerons, conformément à la nomenclature belge « Espace-rencontre ».

[12] Viaux ajoute sagement que cette petite équipe doit être neutre et sereine, c’est-à-dire qu’il faut interdire tout examen qui serait pratiqué par des psys appartenant à telle ou telle association de défense de soi-disant droits parentaux.

[13] Voir à ce sujet le chapitre « Allégations d’abus sexuels, séparation parentale et prise en charge thérapeutique » de Ph. Kinoo in (N. Dandoy, Ph. Kinoo et D Vandermeersch, 2003).

[14] La capacité de s’auto-protéger va en croissant avec l’âge, surtout si l’on convainc l’enfant qu’il en a le droit et qu’on l’entraîne à en trouver des moyens concrets.

[15] Du moins jusqu’à l’adolescence, où le jeune, de facto, a davantage de pouvoir pour imposer largement ce qu’il veut.

[16] Si l’on y procède quand même, c’est plus souvent une manière pour les intervenants de se venger de PG, en lui montrant que ce sont eux les plus forts.

[17] Nous n’avons pas oublié que le jugement de Salomon se termine de façon heureuse pour le parent qui aime avec le plus de désintéressement, mais il ne pouvait pas prévoir cette issue à l’avance. Dans la vie concrète contemporaine, l’issue la plus immédiate ne sera certes pas souvent de cet ordre : ce sera plutôt une traversée du désert de la rencontre. Néanmoins, les enfants deviennent grands adolescents ou adultes un jour et on assiste parfois à desretrouvailles profondes.