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Psychiatre infanto-juvénile et psychothérapeute.

Allégation d’abus sexuel, séparation des parents, et prise en charge thérapeutique

Philippe Kinoo, avec Nathalie Dandoy et Damien Vandermeersch: "Allégations d'abus sexuels et séparations parentales", Collection Perspectives Criminologiques, Editions De Boeck, Louvain-la-Neuve, 2003

 

I.  INTRODUCTION


Qu’est-ce que “ traiter ” un enfant, dans le domaine psychothérapeutique ?

Déjà à cette question, la réponse n’est pas évidente.  Cela dépend de la ?pathologie? de l’enfant, de son âge …  Cela dépend aussi du fonctionnement et des ressources de la famille.  Cela dépend enfin de la formation du thérapeute ou de l’équipe thérapeutique à laquelle on s’adresse.

Comment mettre en route une psychothérapie d’enfant lorsque des parents sont séparés ?

Les deux parents ont gardé, dans la grande majorité des situations, l’autorité parentale conjointe après la séparation.  Le psychothérapeute peut-il supposer l’accord du parent absent lors de la demande de prise en charge ?  Ou vu l’importance d’une psychothérapie pour l’enfant et pour les relations familiales, doit-il obtenir préalablement l’accord du parent ?non demandeur? en premier ?

Qu’est-ce qu’une prise en charge thérapeutique dans une situation d’abus sexuel intrafamilial ?

Comment le psy peut-il évaluer le plus correctement possible ces allégations, parfois évidentes, quelquefois douteuses ?  Comment ?fonctionne? un traitement de telles situations ?  Qui traite qui ?  Est-ce un traitement ?familial? ?  Faut-il toujours un traitement pour l’enfant ?  Comment travailler avec le parent abuseur ?  Et quand le parent est supposé abuseur ?

Les réponses à ces trois questions sont complexes et compliquées.
La première question déjà est loin de faire un consensus parmi les psychothérapeutes d’enfants.  Pourtant, malgré de très nettes différences de méthodologie et de repères théoriques (actuellement, essentiellement la psychanalyse et l’analyse systémique), il y a une éthique référentielle commune, ou suffisamment commune, qui permet à la plupart des psychothérapeutes d’enfants, au delà des références théoriques, de délimiter un champ de travail commun.

Mettre en place un traitement psychothérapeutique d’enfant de parents séparés se fait encore trop souvent ?à la demande? d’un des deux parents.  Pourtant, la déontologie, champ défini par l’éthique, la loi et la pratique, apporte des éléments de réponse à cette question.  Ces éléments sont malheureusement souvent mal connus : l’autorité parentale conjointe après séparation est une loi récente, et ses effets sur la mise en route d’un traitement a été peu travaillé et diffusé.  Il s’ensuit certaines habitudes sinon erronées, du moins trop légères, qui handicapent souvent le psychothérapeute dans des situations de séparation parentale.

Enfin, l’abus sexuel sur un enfant reste pour le psy comme pour tout être humain, un domaine émotionnellement délicat.  Longtemps les psys ont expliqué ce type de plaintes comme des ?fantasmes œdipiens? d’enfants ?pervers polymorphes?.  Puis il y a eu, assez brutalement, un revirement.  Les psys ont alors affirmé qu’un enfant ne mentait pas s’il révélait des abus sexuels sur sa personne.  Actuellement, on voit que c’est plus complexe et nuancé, et souvent encore plus difficile de faire la part du vrai et du faux dans les situations de séparation.  Alors, pour éviter les pièges de l’émotionnel (trop croire, ou croire trop peu, en fonction de ses propres émotions et projections), le psy a dû ou doit se référer – au moins dans une certaine mesure – à une méthodologie pour :

1.    tenter d’évaluer le plus justement possible ces situations.
2.    mettre en place les mesures d’aide nécessaires.  Ces mesures sont soit assumer – le cas échéant avec des collègues – lui-même la prise en charge, soit signaler aux autorités judiciaires si le traitement de la situation lui semble impossible et que l’enfant est en danger.

Ce sont ces rappels éthiques, déontologiques et méthodologiques que nous reprendrons, avant de présenter des manières de prendre en charge – une clinique – pour la prise en charge thérapeutique de situations d’allégation d’abus sexuel dans une famille où les parents sont séparés.
 

II.    TRAITER, OU QUESTIONS D'ETHIQUE

Au delà des différences théoriques et méthodologiques qui caractérisent les approches psychothérapeutiques, il y a une éthique commune qui délimite le champ psychothérapie : l'éthique du sujet.
Selon cette éthique, l'intervention psychothérapeutique vise à aider un individu, adulte ou enfant, seul ou en famille, à (re)trouver son autonomie psychique, c'est-à-dire sa capacité à conduire sa vie.  Cette capacité est plus ou moins limitée en fonction de l'âge, d'un handicap, des relations aux autres,...  Cependant, c'est cette capacité d'autonomie psychique, cette condition de liberté du sujet qui est au centre du travail psychothérapeutique tantôt pour en développer les outils, tantôt pour en accepter les limites .
Le travail dans la perspective d'une éthique du sujet est donc un travail dans le champ (inter) subjectif.  Même si, bien évidemment, certains aspects objectifs peuvent être utilisés en psychothérapie (et particulièrement pour les enfants et leurs familles ), ces données ?objectives? ne sont pas considérées comme ?vraies? en soi, mais sont au service du travail subjectif, au service de la compréhension d'un problème ou plus précisément de l'appréhension de ce problème par la (ou les) personne(s) concernée(s).
Dans la thérapie, ce n'est pas la ?vérité? qui est recherchée.  Ce qui est recherché, c'est le sens que prend pour les personnes concernées les événements auxquels ils sont confrontés, et le sens de leurs réactions par rapport à ceux-ci.
La fonction du thérapeute n'est donc absolument pas de savoir si la personne qui consulte – y compris un enfant – dit ?vrai? ou ?faux?, mais d'aider cette personne à comprendre ce qui se passe pour elle-même.  L'évocation de souvenirs (en psychanalyse ou en thérapie familiale) est souvent utilisée en thérapie.  Cependant, ici encore, c'est moins l'authenticité du souvenir qui importe, que l'impact du souvenir sur une personne, ou sur les différents membres de la famille.
L'essentiel – au sens propre : l'essence même – de la psychothérapie, c'est ce qui est développé dans les lignes qui précèdent.

Cependant, le psychothérapeute, médecin ou psychologue, n'est pas uniquement dans une position d'écoute désincarnée.  Dans certaines situations, et plus fréquemment dans les prises en charge d'enfants, il peut intervenir par des informations ou des conseils.
La personne ou la famille reste responsable de ce qu'elle fera de ces informations; elle reste libre de suivre ou non les conseils donnés.  Tout traitement médical est soumis à ce principe, mais ce dernier est évidemment capital pour rester dans une thérapie ?d'éthique du sujet? : l'information ou le conseil ne sert que si le sujet (individu ou famille) se l'approprie.  Pas s'il est contraint de le faire.
Il arrive que le thérapeute apprenne, dans le cadre thérapeutique, certains faits répréhensibles, délictueux ou criminels.  Dans ce cas, il est tenu au secret professionnel, conformément à l'art. 458 du Code pénal (?Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes, et toutes autres personnes dépositaires par état ou par profession, de secrets qu'on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice, et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d'un emprisonnement de huit jours à six mois, et d'une amende de cent francs à cinq cent francs?).

Tout ce qui précède est communément connu.  Si ceci est rappelé ici, c'est pour montrer combien la situation d'allégation d'abus sexuel intrafamilial est particulière pour le thérapeute:

1)    Il s'agit d'une situation où la question de la ?vérité?, de la "réalité" ou encore de ?l'objectivité? a une importance capitale.  En effet, si cette réalité est avérée et que l'enfant reste en danger, le thérapeute se trouve devant une exception légale possible à l'obligation de secret professionnel.
2)    Il s'agit alors de voir si les conditions sont réunies pour signaler les faits à l'autorité judiciaire, rompant ainsi le secret professionnel.  

Il restera à voir ensuite ce que devient le traitement psychothérapeutique de ces situations, étant entendu que le traitement judiciaire exclusif n'est pas toujours la réponse à tout… (pas plus que le traitement psychothérapeutique d'ailleurs…).

 

III.    TRAITER UN ENFANT DE PARENTS SEPARES, OU QUESTIONS DE DEONTOLOGIE

Avant de passer au point IV, le traitement des situations d'abus sexuel aujourd'hui, il est important de rappeler une autre règle déontologique, parfois ignorée  qui concerne le sujet qui nous occupe : l'implication des deux parents, séparés, lors de la mise en place d'un traitement psychothérapeutique de leur enfant.  
En effet, ce texte concerne bien les allégations dans les situations de séparation.
Or, qu'en est-il de la psychothérapie des enfants dont les parents sont séparés ?
Rappelons que depuis 1995, en Belgique, l'enfant dont les parents sont séparés ou divorcés reste sous l'autorité parentale conjointe de ses deux parents (sauf exception, prise par décision judiciaire).  Cela implique que les deux parents sont concernés par une décision à prendre pour leur(s) enfant(s) et doivent prendre celle-ci de commun accord.
Si les parents ne sont pas d'accord entre eux, c'est le juge de la jeunesse qui est compétent pour trancher le litige (C'est-à-dire que, face à deux parents qui n'arrivent pas à se mettre d'accord, il y a ce que les juristes appellent un litige. Il s'agit d'un désaccord sur un sujet, entre deux personnes à égalité de droit, ce qui entraîne une procédure de droit civil.  A ne pas confondre – pour les  non-juristes -, avec des procédures de droit pénal, où, sur base d'une plainte, il y a recherche de faute et de culpabilité.  Dans le cas qui nous occupe, le juge de la jeunesse entend les arguments des uns et des autres, puis prend une décision, qu'il doit motiver dans son jugement).  Les choix scolaires (changement d'école,…), le choix de religion,… sont des questions litigieuses soumises au Tribunal de la jeunesse.
Le choix d'un traitement (médical) important fait également partie de ces questions soumises à l'autorité parentale conjointe.  L'ordre des médecins ne s'y est pas trompé, et, dans un avis du 16 novembre 1996 , le Conseil National émettait une série de recommandations aux médecins visant à les mettre en conformité, dans le plus grand intérêt de l'enfant, avec cette nouvelle obligation légale : chercher à obtenir, hors cas d'urgence, l'accord des deux parents pour mettre en route un traitement.


Le traitement psychothérapeutique d'un enfant fait partie des "traitements importants", qui sont  dès lors  soumis à l'autorité parentale conjointe.  Il est donc nécessaire, avant d'entamer une telle prise en charge, de contacter et d'informer les deux parents, et d'obtenir leur accord, même s'ils sont séparés .

Il ne s'agit pas là uniquement, à notre sens, de veiller à répondre à une exigence légale.  Plus fondamentalement, il y a aussi la conviction que les deux parents sont, sinon dans la réalité, du moins symboliquement, non pas égaux mais également importants dans le psychisme de l'enfant.  Les impliquer tous les deux, ou, au moins, tenter de le faire, est donc – symboliquement – important dans la mise en place du "cadre thérapeutique".

Cette démarche est d'autant plus importante quand le médecin ou le psychologue sait ou sent qu'il y a un conflit entre les parents ou un (risque de) contestation d'un des parents.  En effet, c'est précisément alors que, conformément à la loi, il doit obtenir l'accord du "deuxième parent".  Et en plus, c'est précisément dans ces situations que l'enfant risque d'être pris comme enjeu du conflit, ou coincé lui-même dans un conflit de loyauté vis à vis de ses deux parents.  Sans l'accord des deux parents, la prise en charge à visée thérapeutique, risque bien d'être un nouvel élément dans le conflit familial et met l'enfant plus encore en difficulté.

Or, il n'est pas rare que certains parents tentent d'utiliser une consultation médicale ou psychologique, non pour "traiter le problème", mais pour obtenir une attestation "contre" l'autre parent.  Et l'allégation "attestée" d'abus ou d'attouchement sexuel est, on le sait, considérée comme une arme fatale dans le conflit.

Mais n'anticipons pas sur le point V (abus sexuel intrafamilial, lorsque les parents sont séparés), et insistons sur cette obligation, à la fois légale, déontologique et éthique, d'impliquer les deux parents dans une prise en charge thérapeutique, à fortiori si l'enfant ou le traitement lui-même est l'objet d'un conflit, et cela, que les parents soient cohabitants ou séparés.


 
IV.        TRAITER UNE SITUATION D'ABUS SEXUEL INTRAFAMILIAL, OU QUESTIONS DE METHODOLOGIE


Comme déjà signalé dans l'introduction, le psy, autant que quiconque, peut être bouleversé par l'abus sexuel sur un enfant, y réagir par trop d'indignation ou trop de complaisance, amplifier ou minimiser un problème ou un aspect du problème, en s'identifiant – consciemment ou inconsciemment – à l'enfant ou au parent accusé.
Les risques de dérapages ne manquent pas, d'autant plus que, comme déja rappelé dans la partie II, traiter cette situation est une éventuelle exception légale à l'obligation de secret.
Les récents projets de décret concernant la maltraitance ont tenté de rendre le signalement de ces situations obligatoire.
Finalement, les textes ont "décrété" que l'intervention et l'aide sont nécessaires, et que le signalement ne doit avoir lieu que si l'intervenant est impuissant à aider et/ou à faire cesser la maltraitance.  Ce qui est la déontologie et la loi depuis des années.
Plus précisément, schématisons les cas de figure dans lesquelles peuvent se trouver les intervenants médico-psychologiques confrontés à ces situations.

IV.    1. Traiter et secret professionnel

IV.    1.1.  Le principe général auquel ces professions sont tenues est l'obligation de se taire par rapport à quiconque, et cela face à un patient-auteur (de délit) ou à un patient-victime (art. 458 du Code pénal).

IV.    1.2. Il y a, comme on le sait, des exceptions prévues à cette règle. Témoignage en     justice, par exemple ,  ou dans des domaines tout différents,  la déclaration de     naissance ou le signalement d'une maladie contagieuse à l'autorité compétente.

Dans ces exceptions, la déontologie stipule que "lorsque le médecin estime qu'un mineur est l'objet de sévices, de privation d'aliments ou de soins, il en informera les parents ou tuteurs ou les autorités judiciaires (…) Le mobile du médecin, dans ces cas, sera essentiellement la protection de la victime."(Art.61, Code de déontologie médicale).
Ceci s'applique - mutatis mutandis – aux autres professionnels psychothérapeutes.
Il s'agit donc pour le psychothérapeute – même analyste d'enfant – d'informer le ou les parents de ses constatations et/ou inquiétudes et d'envisager avec eux les mesures à prendre.  Cette mesure (cf/infra IV.2.) ne peut être le simple conseil d'informer l'autorité judiciaire, ni le fait de saisir lui-même l'autorité judiciaire.  Il faut qu'il continue ou instaure un traitement.  De même (point IV.3.), il s'agira d'adapter sa méthodologie en fonction de cette problématique particulière.
IV.      2. Traiter et assistance à personne en danger

Reprenons ici aussi une référence de la déontologie médicale.  Article 3 : "(…) Le médecin veille, en toutes circonstances, à la santé des personnes et de la collectivité."
Notons également que, apprenant ou constatant une situation de maltraitance, de sévices ou d'abus, le médecin ou psychologue psychothérapeute se trouve devant une autre obligation : l'obligation d'assistance à personne en danger.  (Cette obligation est mieux connue par son versant négatif : le délit de non-assistance à personne en danger).  Et, pour le psychothérapeute, cette assistance est plus que le signalement à l'autorité.  Par contre,  un intervenant non habilité à "soigner" (instituteur, travailleur social isolé, simple citoyen,…) est, professionnellement et déontologiquement impuissant à aider de par son métier ou sa fonction, même s'il peut, en fonction de ses capacités humaines, apporter aide et soutien; cependant, il est compréhensible et sage qu'il estime qu'il ne peut rien faire seul, et donc il doit informer une autorité.  Pour le thérapeute, l'assistance inclut l'obligation de proposer et tenter un traitement, personnellement ou chez un confrère.
Tenter le traitement est donc une obligation à la fois légale et déontologique pour le psychothérapeute.



IV.    3. Comment traiter ?

Traiter une telle situation nécessite de se référer à quelques repères méthodologiques.  A notre avis, l'ouvrage le plus pertinent est le livre des docteurs Hayez et de Bekker : "L'enfant victime d'abus sexuels et sa famille : évaluation et traitement" (PUF, 1997).
Ce livre montre la complexité et la difficulté de ces situations.  Il fait apparaître clairement la nécessité d'une phase – plus ou moins longue – d'évaluation, visant à évaluer la gravité de la situation.  Parallèlement, -et ceci à toute son importance pour le traitement-, il est nécessaire d'évaluer la capacité de la famille à
    1) protéger l'enfant de la poursuite des sévices
    2) collaborer au traitement.
Dans le cas où ces deux paramètres sont positifs, un travail thérapeutique intrafamilial "classique" est possible.  S'ils sont tous deux négatifs, une intervention judiciaire protectionnelle avec placement de l'enfant est indiqué.  Rappelons que, en urgence, une hospitalisation de l'enfant permet, rapidement, de mettre l'enfant "à l'abri" et d'aller plus loin dans l'évaluation et la recherche de solution.  Habituellement cette étape est possible sans l'intervention judiciaire, par une "voie pédiatrique".
Bien souvent cependant, il est difficile d'avoir d'emblée une réponse précise aux trois critères de gravité, protection et collaboration.  Dans ces situations "indécises", les auteurs montrent la difficile nécessité d'installer un système dit "de vigilance", avec un accompagnement et un suivi actif, qui, dans toute la mesure du possible, vise à éviter des interventions trop lourdes et inadéquates d'une part, et un laisser-faire lâche ou désabusé d'autre part.
La méthodologie décrite rejoint un principe général concernant les situations où, en fait, un contrôle social et une aide thérapeutique sont conjointement nécessaires.
On retrouve ceci également pour les situations de défense sociale, d'obligation de thérapie dans les probations – délits sexuels par exemple -, de mise en observation des malades mentaux, …  
Contrôle social et aide thérapeutique ne peuvent être assumés par une même personne ou un même service.  Une coexistence avec un code de collaboration définissant préalablement le degré de perméabilité ou d'imperméabilité de la communication et de passage des informations est indispensable.
Dans les cas de suspicion d'abus, l'aide thérapeutique sera nécessairement assumée par un thérapeute ou un service thérapeutique (Service de santé mentale, équipe SOS Enfant).  Le contrôle social, ou service de "vigilance", peut être un service judiciaire, (SPJ habituellement) si la situation est judiciarisée, mais pas nécessairement.  Cela peut être un service social (SAJ) ou un deuxième service "psy" spécialisé.  Par exemple, un psychothérapeute peut assumer le rôle thérapeutique, et une équipe SOS Enfant, la fonction de contrôle, si la famille reste dans des limites suffisantes de collaboration, et que la gravité n'impose pas une protection judiciaire.  Rappelons ici s'il le faut, qu'habituellement la seule "protection" judiciaire possible dans le cadre du Tribunal de la Jeunesse, est le placement de l'enfant.  L'autorité judiciaire protectionnelle n'a aucune "baguette magique" pour solutionner ces situations.  En effet, seule la preuve ou la présomption suffisante de la culpabilité de l'auteur des faits permet la mise à l'écart – et donc la protection – de l'enfant par la voie non plus protectionnelle, mais répressive (justice pénale).  Or, l'expérience montre que c'est précisément une des difficultés majeures de la Justice: obtenir l'aveu et/ou les "preuves judiciaires" dans ces situations incertaines, qui, par définition, sont des situations où la collaboration et la protection familiales sont faibles ou inexistantes.

Quand les conditions de traitement sont suffisantes, que se passe-t-il ?

D'une part, il y a la mise en route de ce qui fait habituellement l'essentiel des psychothérapies individuelles ou familiales : des rencontres de parole, de mise en mots des émotions, la recherche du sens de ce qui se passe et s'est passé au niveau personnel et dans les relations familiales.  Ici, comme évoqué dans la partie II "Traiter, ou questions d'éthique", chaque thérapeute fera selon les besoins de la famille et en fonction de sa formation, de son expérience, de son style.
D'autre part, le thérapeute devra souvent, plus que dans d'autres situations, veiller à ce que les collaborations avec les éventuels autres services intervenants soient bien définies et clairement signifiés et acceptés par la famille.  Ceci est particulièrement nécessaire au cas où la situation glisse vers une non-collaboration et/ou une non-protection de l'enfant.

Tout ceci, bien évidemment n'est qu'une description grossière et schématique d'une manière de présenter le traitement de ces situations.  Nous renvoyons à l'ouvrage sus-nommé pour plus de détails, ainsi qu’à la littérature abondante sur le sujet.
Et, plus encore, nous renvoyons à la nécessité pour les thérapeutes qui prennent ces situations en charge d'être formés : il s'agit non seulement de technique, mais aussi de formation émotionnelle, ce que les "bonnes formations" offrent, théoriquement.
 

V. TRAITER UNE SITUATION D'ALLEGATION D'ABUS SEXUEL
     APRES DIVORCE OU SEPARATION, OU QUESTIONS DE CLINIQUE

Pour cette dernière partie nous avons contacté trois cliniciens que la pratique confrontait régulièrement à ce type de problème.
Nous avons choisi un psychologue et un pédopsychiatre travaillant en équipe SOS Enfants, et un pédopsychiatre travaillant en privé.
Il s'agit de Yves-Hiram Haesevoets (de SOS Enfants St-Pierre-ULB), et d'Emmanuel de Bekker (SOS Enfants-UCL), ainsi que Catherine Marneffe (ex-SOS Enfants de l'A.Z.-VUB), travaillant actuellement en consultation privée.

Dans sa pratique, cette dernière a observé une grande majorité de fausses allégations dans des situations de séparation. Ceci peut s'expliquer par le fait que ces situations lui sont souvent envoyées par des magistrats du Parquet dont la conviction était que l'allégation était peu crédible et qui estimaient qu'une prise en charge thérapeutique était nécessaire. C. M. interprète ces demandes de magistrats comme une façon de réorienter un problème qui ne leur parait pas relever des instances judiciaires, mais qu'ils considèrent cependant comme un symptôme de problèmes familiaux majeurs, nécessitant un suivi psychologique, permettant de comprendre la mère et de protéger l'enfant de la tempête provoquée par les suspicions concernant le père.

Dès le premier contact téléphonique – habituellement avec la mère allégante -, C. M. annonce que, dans toute situation de consultation, y compris celle-ci, elle pense qu'il est nécessaire de contacter l'autre parent: c'est essentiel dans l'intérêt de l'enfant afin de permettre à ce dernier d'investir la "thérapie" avec le soutien de ses deux parents.  Posée ainsi, cette exigence ne fait pas problème, et, toujours, le père est contacté dans un deuxième temps.

C. M. insiste sur l'importance qu'il y a à faire participer chaque membre important de la famille ; père, mère, enfant, et les grands-parents, qui s'associent souvent à la plainte.
L'objectif du thérapeute est, avec la famille, moins de vérifier des faits que de comprendre ce qu'il y a derrière la projection d'abus.  Cette image d'abus surgit parfois dans l'histoire familiale comme chez cette grand-mère persuadée que son ex-beau-fils avait violé son petit-fils.  Dans le décours  des entretiens, cette grand-mère se rappelle un souvenir d'enfance "oublié" : elle-même a été violée à l'âge qu'a actuellement son petit-fils.  Le coupable fut pourtant arrêté et condamné, mais le souvenir avait disparu.  Son malaise avec son ex-beau-fils, mêlés à ces souvenirs subconscients, avaient progressivement forgé sa conviction.

De façon générale, les mères qui allèguent ont une histoire personnelle difficile et viennent de familles aux relations enchevêtrées, mal différenciées.  Le divorce ou la séparation se passe mal; il y a des conflits autour de questions d'argent.  L'allégation survient dans un contexte combinant un conflit actuel et une histoire personnelle difficile.  Il s'agit donc d'ouvrir le temps et l'espace thérapeutique sur les conflits entre les parents, et sur les questions des dommages subis, au-delà de l'allégation.  Certaines mères saisissent tout à fait cette opportunité.  Au bout de quelques entretiens, l'une d'elles avait oublié que c'était pour une allégation d'attouchements qu'elle avait pris le premier rendez-vous.

D'autres restent dans leur conviction.  Dans ce cas, sans brutalité, mais avec fermeté, C. M. renvoie sa propre conviction : "Mon impression est que vous vous trompez…".  Ceci n'est annoncé que quand le thérapeute sent un transfert suffisant.  Si cela est dit trop tôt, le contact est interrompu, et un autre psy sera consulté en vue d'obtenir l'attestation souhaitée.

"Je pense que vous vous trompez, mais je suis prête à voir avec vous, à réfléchir, …"

Si ce cap d'accrochage est franchi, le parent allégant reste dans le travail thérapeutique malgré tout, et continue les entretiens.  Cela prend du temps, souvent un an ou deux.  Apparaissent alors habituellement de graves difficultés familiales, les problèmes de haine et d'argent, …: "Ce sont souvent des femmes qui règlent leurs comptes avec les hommes à travers leur enfant."

Avec le père, il faut voir ce qui a suscité cette allégation.  Si les contacts n'ont pas été interrompus par la justice ou par la mère, des entretiens père-enfant montrent habituellement une relation qui, malgré les problèmes allégués, est restée agréable et détendue entre l'enfant et son père.  

Avec l'enfant, la fonction thérapeutique peut être difficile.  Le contact a parfois du mal à s'établir, surtout si l'enfant vient "pour (re)dire", et que le thérapeute sent que l'allégation est fausse.  Ce sont souvent de jeunes enfants, en plein Œdipe, avec une curiosité sexuelle importante, au comportement assez chaotique.  

Une petite fille avait dessiné "une sirène, sans kiki, amoureuse de son papa."  A quoi C. M. avait renchéri qu'il valait mieux que les grandes personnes ne s'occupent pas des kikis des petites filles, renvoyant dos à dos pour la fillette le père suspect et la mère qui examinait le sexe de sa fille à chaque retour…  
La parole de l'enfant est difficile à comprendre, ou plutôt, n'est pas à prendre au pied de la lettre.  Pour un jeune enfant, au schéma corporel incertain, la différence n'est pas très claire entre "le doigt dans le pet" et le "doigt sur le pet"…  Mais de toute manière, des entretiens sont indiqués : "Dans une telle tempête, c'est toujours grave pour l'enfant et l'important est de lui donner un endroit neutre où sa parole sera entendue".

C. M. observe que ce sont des situations qui nécessiteront un long temps de prise en charge, mais rarement un rythme d'entretiens intensif, ni un cadre trop rigide.  Il se passe parfois plusieurs semaines entre les rendez-vous, puis le téléphone sonne pour demander un rendez-vous en urgence.  "Le rythme est en dents de scie, en fonction des tensions."


Emmanuel de Becker, SOS Enfants UCL, présente ces situations comme une application particulière des maltraitances intrafamiliales : "un état de mal des liens".  On y trouve à la fois un problème de liens sociaux et des problèmes de place au sein de la famille.  D'une façon générale, la fonction qu'estime devoir prendre SOS Enfants est un subtil mélange de contrôle, d'aide et de soin.

S'il y a fausse allégation, l'enfant est malmené de toute façon et une intervention thérapeutique est nécessaire.  Pour ce faire, cela passe par une évaluation du "niveau de souffrance" du parent qui allègue.  C'est ainsi qu'on rencontre chez ce parent une pathologie mentale qui évoque ses propres maltraitances .

Au stade d'investigation, E. de B. cherche également à comprendre qui allègue.  C'est parfois un parent seul, mais il n'est pas rare de trouver un clan familial (souvent représenté par la grand-mère maternelle) qui lutte contre l'ex-compagnon ou mari, vécu comme monstrueux, l'homme à abattre.  Il importe aussi de savoir si d'autres intervenants sont en action ou ont été consultés, ce qui permet d'avoir une idée plus large du contexte de la consultation et/ou de la demande.
Concrètement, sur une courte unité de temps – idéalement une semaine – sont rencontrés le parent allégant (éventuellement ses "alliés"), l'enfant, et le parent suspecté, ainsi que l'un ou l'autre professionnel impliqué (concertation).  Si le parent est suspecté "de longue date", et donc au courant de l'accusation, ou qu'il y a "crise", il est convoqué avant l'enfant.  S'il n'est pas au courant, l'enfant est vu d'abord.  La rapidité est importante pour impliquer d'emblée le parent suspecté : ne pas le concerner d'emblée entraîne souvent un refus de sa part de s'impliquer et la mise en route d'une "contre-expertise"…

Que font alors les thérapeutes d'SOS ?

D'abord, E. de B. précise qu'il est important d'être deux pour intervenir dans ces situations (habituellement dans leur équipe, un assistant social et un psy).  Etre deux permet de mieux "tenir le cap" et de réguler l'intensité du soin, de l'aide et du contrôle en fonction de chaque situation.
La question de la "vérité", ou plutôt de la réalité objective, est importante pour E. de B.  Le maintien du doute entraîne une "ombre malsaine qui flotte sur les familles".  Cette recherche de la réalité objective fait partie de l'aide nécessaire pour permettre le soin.  Cela ne veut pas dire que rapidement on va "croire" ou "ne pas croire".  On peut déclarer : "Vous croyez que votre enfant a été attouché : on va examiner cela avec vous, avec votre enfant..."

Quand l'enfant parle facilement en entretien, il est souvent plus facile de se forger une opinion sur les faits allégués.  C'est plus difficile quand l'enfant se tait …  Le silence n'est indicateur de rien d'autre que d'un malaise, pas de la cause de celui-ci…
C'est parfois l'abus d'entretiens et d'investigations qui a rendu l'enfant muet.

Dans ces cas de doute, des entretiens sont poursuivis en temps avec l'enfant, la mère, le père...  Les rencontres avec le père suspecté sont alors présentées comme étant des rencontres d'évaluation.  On peut dire sa conviction : "C'est possible", ou "C'est peu probable…"  Ce sont des situations où on est parti pour quelques semaines ou quelques mois de travail.  Si la situation semble une impasse (le parent allégant maintient ses accusations, le parent suspecté nie, le thérapeute doute), il est souvent plus utile d'interrompre un temps les entretiens, et de fixer un rendez-vous quelques mois plus tard.  En effet, dans ces circonstances, les parents n'ont plus de demande, ou, plus précisément, ont une demande à laquelle le thérapeute ne peut répondre.  Cependant, "l'unité de temps" a néanmoins eu certains effets, et fixer un rendez-vous pour une éventuelle deuxième unité de temps permet de reprendre alors les questions ou les problèmes.

Dans l'expérience d'E. de B. en équipe SOS, il y a habituellement déjà eu des interventions préalables à la leur.  Il n'est pas rare que le problème soit déjà sur la scène judiciaire et que des avocats épaulent les parents.
Dans ce cas, le cadre de l'intervention de SOS est précisé : SOS ne peut intervenir que dans un cadre volontaire, ou amiable (comme disent les juristes), pour les deux parents.  Ainsi, les deux parents, avec les deux avocats, peuvent, avec les thérapeutes, convenir d'une organisation de l'hébergement, en fonction des circonstances.  Ici, les deux parents sont en quelque sorte seuls responsables; les avocats n'interviennent que comme "conseils" de leurs clients.
Variante du cadre précédant, il y a une intervention judiciaire protectionnelle, et, ici encore, les partenaires professionnels sont conviés à participer et les fonctions des intervenants psy et judiciaires sont clarifiées.
Parfois, par exemple quand les avocats des parents influencent malencontreusement le déroulement du travail, un troisième membre de l'équipe SOS peut intervenir : le juriste, qui peut alors être bien utile.

Autre situation, autre cadre : SOS intervient en même temps qu'un PMS, qu'un médecin ou psychologue traitant, … avec qui le rôle de chacun dans le cadre de l'intervention est précisé (aide, contrôle, soin).

Le travail thérapeutique est souvent à la fois familial et individuel : soigner, c'est aider l'enfant et ses parents à se réapproprier les effets de l'angoisse déclenchée par les faits et/ou des allégations.  
Le travail individuel (l'enfant ou un des parents) est parfois effectué par un thérapeute extérieur, ou par un autre psychothérapeute de l'équipe SOS.
E. de B. estime, dans la clinique de SOS, qu'environ un quart des allégations viennent de mères qui sont en fait dans le doute et la perplexité par rapport à ce qu'elles vivent comme une possibilité d'abus.  Elles viennent alors pour tenter, avec le thérapeute, de comprendre, de savoir ce qui s'est passé.  Pour le reste, les trois-quarts des situations, la conviction est déjà faite chez la personne qui allègue et la consultation a pour but d'obtenir l'attestation qui confirme l'allégation.  Côté thérapeutique, s'il est exceptionnel d'avoir une certitude, il y a néanmoins une conviction (vraisemblance-invraisemblance) qui se forge dans 50 % des cas.  Dans 50 % des situations, le doute persiste…
Et on retrouve alors ce qui est décrit plus haut . Etre rapide, comprendre ce qui s'est passé et tenter d'être efficace.  Ne pas insister en maintenant des rendez-vous quand les parents n'en voient plus le sens, mais ne pas lâcher et fixer un contact plus éloigné.

Yves Hiram Haesevoets pour SOS Saint-Pierre, décrit leur centre comme un lieu où certaines personnes viennent adresser leur plainte ou leur soupçon : tantôt la demande des mères est de faire le point sur le soupçon, tantôt la demande est d'avoir l'attestation qui prouve …   Leur service est caractérisé par l'importance de l'aspect "médical" à la fois de l'institution (service de pédiatrie de l’Hôpital St-Pierre), mais, dans une bonne mesure, également de la prise en charge, du moins dans la phase diagnostique.

Bon nombre d'allégations arrivent en urgence (service des urgences pédiatriques) et le pédiatre est souvent le premier qui voit l'enfant.  Si celui-ci l'estime nécessaire, il peut – si possible après avis d'SOS – demander un avis gynéco, effectué par une gynécologue spécialisée dans ce domaine particulièrement délicat.

L'étape d'investigation médicopsychologique ou du "pré-diagnostic" est très importante à SOS St-Pierre.  Cette investigation est multidisciplinaire, à la fois familiale et centrée sur l'enfant (y compris, pour ce dernier, au niveau pédiatrique, comme signalé).  A ce stade d'investigation sont également évalués les différents "traitements" qui semblent nécessaires,  y compris les traitements judiciaires. L’avis du juriste de l’équipe est souvent sollicité.
Si une allégation semble avérée, SOS encourage le parent allégant à porter plainte.  Trop souvent auparavant, après avoir travaillé sans qu'il n'y ait eu traitement judiciaire, la victime avait – même bien plus tard – l'impression que les choses n'avaient pas pu être complètement réglées. "Le judiciaire apporte du rationnel là où des repères pragmatiques sont nécessaires (surtout en cas d’inceste)".


Donc, une première phase vise à ce diagnostic : que s'est-il passé? Ce diagnostic est provisoire, et participe à l’approche thérapeutique.

Concrètement, pour ce faire, le parent allégant est reçu, éventuellement avec la personne qui l'accompagne : une voisine parfois, une grand-mère plus souvent.  Après un entretien commun, il y a un ou des entretien(s) individuel(s).
L'enfant est vu ensuite seul et bien souvent ce premier entretien est révélateur de la vraisemblance ou de l'invraisemblance de l'allégation.
Si l'allégation est peu fondée, on se trouve habituellement face à un enfant, généralement une fille, entre un an et demi et cinq ans; l'enfant est gênée, parle peu, ou confusément.  La mère hésite ou refuse que l'enfant soit vu seul. Les enfants plus âgés essayent de convaincre leur interlocuteur.
Dans les cas d'abus ou d'attouchements avérés, l'enfant est plus spontané ; il dit les choses parfois de façon étrange mais le contenu est précis.  Souvent, il ne se plaint pas des attouchements proprement dits, même s'il peut les décrire, et ne se plaint, le cas échéant, que d'éventuelles douleurs physiques ressenties. Bien souvent, il parle, mais ne dit pas tout.
Dans les situations d'abus avéré, le Parquet est saisi, et/ou le Tribunal de la jeunesse gère la protection de l’enfant.
Cette phase d'investigation est parfois longue, nécessitant de multiples entretiens.  Les pères sont actifs comme partenaires, une fois sur deux.  Beaucoup de pères refusent de venir, ou viennent sous contrainte, ou se comportent devant les psys comme devant un tribunal : ils prennent un rôle d'injustement accusés et "se défendent".
Y.H. H. reconnaît que les pères sont trop souvent laissés sur le côté dans cette phase, comme si, pour des raisons liées à la fois à l'histoire du service, au contretransfert (négatif) et aux préjugés toujours actuels envers ces pères, il fallait s'en méfier, les tenir à distance.
Si la situation est floue, ou que le service craint les effets d'attitudes maternelles pathologiques sur l'enfant, celui-ci peut être hospitalisé quelques jours.  Si une mère refuse même cette hospitalisation, c'est un élément supplémentaire en faveur d'un diagnostic de fausse allégation.

Cette étape "criminologique et clinique" est considérée, malgré l'importance de l'élément "investigation", comme déjà thérapeutique, puisque c'est à partir de ces observations que va se décider le cadre adéquat de la prise en charge : vers la justice, vers la thérapie, ou vers les deux.  SOS St-Pierre se sent à l'aise dans un cadre de thérapie familiale contrainte.  (Y.H. H. précise qu'il ne s'agit pas de thérapie individuelle de l'abuseur, mais bien d'une prise en charge familiale qui implique psychologiquement l’abuseur).  Autre possibilité, le juge de la jeunesse renvoie la situation à SOS pour effectuer un examen médico-psychologique plus approfondi, plus large (fratrie,…) qui s'étale alors souvent sur quelques mois.
Il arrive aussi, dans certaines situations où la famille (= les deux parents) est très compliante, et les faits peu étayables, que l'instance tierce ne soit pas la justice, mais le SAJ.

Pour résumer, une situation paradigmatique "idéale" (mais non exceptionnelle) de prise en charge à SOS St-Pierre serait la suivante :
Dans un contexte de séparation conflictuel, et suite à l'inquiétude et aux soupçons d'une mère, devant la perplexité de l'équipe, et après discussions multidisciplinaires, l'enfant est hospitalisé.  Pendant ce temps d'hospitalisation, père et mère sont rencontrés, séparément.  L'enfant est vu plusieurs fois seul.  Des entretiens mère-enfant et père-enfant sont organisés.  Préparés et bien encadrés, ces enfants sont assez à l'aise et directs dans ce type d'entretiens.  Si les parents l'acceptent – et que cela semble possible pour l'équipe -, ceux-ci sont rencontrés ensemble.   Certains parents refusent de se revoir.  L'équipe renvoie à chaque parent ses idées et ses convictions.  Lors de cette phase, l'axe conducteur est centré sur l'enfant et sur le projet de chaque parent sur l'enfant : "Que voulez-vous pour lui ?  Comment déterminer le traitement ?"  A ce stade – idéalement – chaque parent reconnaît la nécessité pour l'enfant d'un contact avec ses deux parents.
Parfois un des parents, ou les deux et/ou l'enfant est orienté vers une prise en charge psychothérapeutique extérieure.  S’il y a une demande de la famille et s'il paraît difficile à l'équipe de refuser pour des raisons de transfert (au sens psychanalytique du terme), SOS St-Pierre poursuit lui-même la prise en charge thérapeutique, souvent longue (de 1 à 3 ans).

Enfin, Y.H. H. met en garde contre les effets de l'éventuelle spirale judiciaire, en cas de fausse allégation.  L'image du père est en effet "démolie" par la prison préventive, ou même par les 24 h de cachot.  L'enfant – et surtout la mère – en gardent l'image d'un père "coupable", puisque emprisonné, même s’il n’est pas condamné après les mois d’enquête et de procédure.
La reconstruction du lien père-enfant semble alors compromise et le “ thérapeutique ” plutôt impuissant.

Conclusion

Les trois témoignages d'approche clinique repris dans la partie précédente illustrent d'une part les variations et accents différents dans les prises en charge, et d'autre part certaines constantes.
Ainsi, le cadre même du thérapeute conditionne en partie le type de prise en charge.  A un extrême, C.M. est, pourrait-on dire, quasi d'emblée dans un cadre "d'après diagnostic",  après un traitement du dossier par le Parquet – même si le dossier n'est pas nécessairement clôturé – A l'autre extrême, SOS St-Pierre est en première ligne, en "urgence médicale", et la partie diagnostique y prend une grande part.

Il apparaît important qu'une conviction raisonnable se forge chez le thérapeute sur la réalité ou non de l'abus, et que cette conviction soit annoncée aux parents, au moment où l'accrochage est suffisant pour que la famille ne rompe pas le contact.  L'importance de l'implication rapide du parent suspecté apparaît clairement, et c'est sans doute une des difficultés majeures de la mise en place du cadre thérapeutique.  Le témoignage d'SOS St-Pierre montre bien que les raisons de cette difficulté résident en bonne partie auprès des professionnels eux-mêmes.  Si le thérapeute est convaincu de la nécessité d'impliquer le père, et l'annonce d'emblée comme une étape évidente et indispensable, cet objectif sera plus facilement atteint.

La durée de ces prises en charge est relativement longue : plusieurs mois, voire des années.

Observons aussi l'utilité du travail en équipe dans ces situations et la clarification des rôles et fonctions des différents partenaires éventuels, même si, comme le montre le témoignage de C.M., une fois le "diagnostic" établi, une prise en charge thérapeutique plus "classique" peut avoir lieu : thérapie(s) individuelle(s) ou familiale(s).

Enfin, face à la complexité de ces situations, face aux  souffrances actuelles et anciennes, face à la multiplicité des interventions parallèles à la prise en charge thérapeutique, une bonne connaissance de ce domaine et une bonne formation individuelle du thérapeute sont évidemment indispensables.