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Psychiatre infanto-juvénile et psychothérapeute.

L’enfant avec troubles externalisés du comportement : approche épigénétique et développementale

I. Roskam, M.-C. Nassogne, Ph. Kinoo (2007). "L'enfant avec troubles externalisés du comportement: approche épigénétique et développementale". Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence, vol.55, pp204-213.

1. Terminologie : Les troubles de comportement externalisés se manifestant chez les enfants par de l’agitation, de l’impulsivité, un manque d’obéissance ou de respect des limites qui leur sont données, une certaine agressivité, sont le motif d’un grand nombre deconsultations dans les services de neuropédiatrie et de pédopsychiatrie.
Avant l’âge de six ans, les plaintes des parentsconcernent l’agitation, le manque d’obéissance, l’impulsivité ou l’agressivité à l’égard des pairs ou même des adultes. Chez les enfants de plus de six ans, les plaintes découlent dedifficultés scolaires se traduisant par des résultats insuffisants,un manque de concentration ou encore des comportementsinappropriés en classe.Ces troubles externalisés du comportement sont associés àplusieurs syndromes différents. Ainsi, selon le DSM IV, ilsfont partie des symptômes du « déficit de l’attention avec ousans hyperactivité » (ADHD et ADD), des « troubles desconduites » (CD) et du « trouble oppositionnel » (ODD).Pour la CIM-10, ils sont décrits dans les « troubles hyperkinétiques», dans les « troubles des conduites » et dans les « troublesmixtes des conduites et des émotions ». Ou encore, pour laClassification française des troubles mentaux de l’enfant et del’adolescent (CFMTEA), ils font partie du tableau des « troublesdu développement et des fonctions instrumentales », ainsique des « troubles des conduites et du comportement ».Les origines de ces troubles du comportement externaliséssont multifactorielles et il est éclairant de les systématiser àpartir de trois domaines étiologiques.? Premièrement, les facteurs constitutionnels liés à « l’équipementneurologique » de l’enfant. Dans ce domaine interviennentdes facteurs génétiques relatifs au tempérament(entendus comme les bases biologiques de la personnalité),mais aussi à des séquelles de lésions périnatales (prématuritéou souffrance foetale) ou à des maladies neurologiques.Ce sont les « prédispositions organiques » du comportement.? Deuxièmement, les facteurs épigénétiques liés à l’éducation.La manière plus ou moins calme et posée, ou au contraire,plus ou moins impulsive et agitée dont un enfant va se comporter,provient en partie de son équipement neurologiquemais c’est aussi le résultat de la façon dont il a été éduqué :la manière dont on lui a appris — ou non — à respecter leslimites, le contexte relationnel angoissé ou serein danslequel il a grandi, la cohérence ou les incohérences éducatives.Dans la suite de l’article, ce domaine sera abordé pluslargement.? Enfin, le comportement de l’enfant est fonction de facteursenvironnementaux actuels : l’excitation ou la sérénité d’unenfant dépend du contexte dans lequel il se trouve et desévénements qui vont l’influencer à court et à moyen terme(par exemple une fête d’anniversaire, un déménagementfamilial, l’entrée à l’école primaire, un deuil ou une séparationdans la famille, les vacances, un instituteur plus oumoins structuré dans sa pédagogie). On peut également yinclure certaines causes somatiques telles les allergies oules maladies. Il en sera question dans la partie « diagnosticdifférentiel pédiatrique ».Ces trois domaines étiologiques (constitutionnel, épigénétique,environnemental) s’influencent mutuellement, et s’il fallaitles schématiser, on ferait apparaître un recouvrement destrois champs étiologiques, avec au centre, le comportementrésultant de l’ensemble des interactions des trois champs(Fig. 1). Les effets des interactions réciproques entre ces troischamps étiologiques déterminent trois zones :? premièrement, de l’interaction des facteurs constitutionnelset épigénétiques résulterait la « personnalité » c’est-à-direun ensemble de caractéristiques stables et générales liées àla manière d’être et de réagir dans les situations rencontrées,issues des effets de l’éducation et de la qualité des relationssur l’équipement neurologique de l’enfant ;? deuxièmement, de l’interaction des facteurs constitutionnelset environnementaux actuels résulterait le « neurovégétatif »c’est-à-dire la façon dont le corps biologique a appris à réagirface à des facteurs stressants ou angoissants par dessomatisations, des colères ou des réactions physiologiquesd’angoisse comme la sudation par exemple ;? troisièmement, de l’interaction des facteurs épigénétiques etenvironnementaux actuels résulterait la capacité d’« autocontrôle» conscient et volontaire ;? finalement, un comportement — et donc aussi un trouble ducomportement — serait la résultante de l’intrication complexeet variable de ces facteurs.Cet article propose une approche étiologique multifactorielle,axée plus particulièrement sur la dimension épigénétiqueet développementale de ces troubles. L’article souligne ensuitel’importance d’une évaluation multidisciplinaire des troublesde comportement. Il propose enfin une brève revue des traitementsvers lesquels les enfants, les adolescents et leur famillepeuvent être orientés suivant ce type d’approche.

2. Évaluation des troubles externalisés

Lors des consultations, l’évaluation des troubles externalisésconstitue un problème essentiel. Certes, il existe une série dequestionnaires d’évaluation portant sur le comportementobservé de l’enfant comme le Conners [9] avec ses variantespour les parents et pour les enseignants. Cependant, ces questionnaires,tout comme d’ailleurs l’anamnèse bien conduite,restent subjectifs, puisqu’ils se basent sur ce que l’observateurdéfinit — forcément subjectivement — comme « s’agiter, setortiller pas du tout/un petit peu/beaucoup/énormément sur sachaise » (cfr. premier item du questionnaire abrégé de Connerspour les enseignants).En outre, il est vraisemblable que le succès de la notiond’ADHD désormais bien connue du grand public, fausse aumoins en partie, les résultats de ces échelles. Nos consultationsnous montrent depuis quelque temps l’apparition d’enfants« prédiagnostiqués » hyperactifs–ADHD par des parents oudes enseignants, souvent avec la demande explicite voire impérativede prescription de méthylphénidate1. Et comme on netrouve habituellement que ce que l’on cherche, certains enseignantsou parents désireux de voir leur prédiagnostic confirmépar l’équipe médicale et paramédicale, auront bien du mal ànuancer leur évaluation.En outre, un problème spécifique se pose pour les jeunesenfants en âge préscolaire. La persistance d’un degré « normal »d’agitation, d’agressivité et d’impulsivité jusqu’à sept ans, renddifficile l’objectivation des troubles par les parents eux-mêmes.Il est également reconnu qu’à cet âge, l’influence des caractéristiquesde la fratrie (nombre, tempérament des aînés), du statutmarital (famille biparentale ou monoparentale), du typed’habitat (maison avec jardin ou appartement) et du soutiensocial dont bénéficient les parents (engagement de l’entourageauprès des enfants, réseau social), est considérable. De ce fait,à trouble de comportement égal, certains enfants seront adressésà la consultation tandis que d’autres non. À cet âge, plusque ce n’est le cas chez les enfants de six ans et plus, lesparents ne semblent pas être les meilleurs évaluateurs de cestroubles de comportement. Des études récentes tendent à mettreau point des paradigmes d’observation destinés aux clinicienset visant l’évaluation des troubles de comportementchez les enfants d’âge préscolaire [17]. Ils sont conçuscomme des alternatives possibles aux questionnaires diagnostiques.La mise au point de tels outils diagnostiques est essentielledans la mesure où il est important de pouvoir évaluer lestroubles de comportement de manière précoce. Plusieurs étudeslongitudinales [20,30,34] ont en effet montré que les troublesdu comportement présents chez un enfant en bas âge, tendent àpersister dans une certaine mesure jusqu’à l’adolescence voireau-delà, amenant des troubles d’insertion scolaire, sociale etprofessionnelle. L’intérêt que suscitent actuellement les jeunesenfants avec troubles externalisés du comportement soulèvecependant de nombreuses questions auprès des chercheurs etdes professionnels. [18]. Si le diagnostic précoce de ces troublescontinue de susciter la polémique, il est cependant évidentqu’une prise en charge précoce reste tout indiquée, particulièrementen ce qui concerne la prévention des troubles secondaires.En effet, les enfants agités, désobéissants ou agressifs, sonttrès souvent exposés à une exclusion scolaire et/ou sociale précoce.Dès la maternelle, certains de ces enfants sont menacésd’exclusion scolaire. Ils ne sont pas les bienvenus dans les réunionsde famille ou chez les amis. Ils ne sont pas invités auxanniversaires de leurs camarades. De plus, il n’est pas rared’observer de la part de l’entourage excédé par l’enfant, uneviolence verbale et/ou physique pouvant aller jusqu’à la maltraitance.Il y a lieu de considérer que les troubles externalisésne conduisent pas ipso facto à des tableaux de délinquance oude psychopathologie mais que l’association récurrente entre cestroubles, l’exclusion scolaire et/ou sociale et la violence verbaleet/ou physique autour de l’enfant, augmente de manièresignificative la probabilité d’émergence de troubles des conduites,délinquantes ou autres.

3. Facteurs explicatifs des troubles externalisés :une approche multifactorielle dans deux champs cliniques

Dans la majorité des cas, les troubles externalisés du comportementrelèvent de tableaux complexes où se croisent deséléments des champs neurologique et psychodynamique.L’activité d’un enfant n’est pas que le résultat de l’« objet–cerveau ». Elle est aussi reflet du « sujet–enfant ». L’objet(les troubles du comportement) est dans le sujet (l’enfant). Lepsychanalyste orthodoxe ne conteste pas (plus) le substrat biologiquephysicochimique du fonctionnement psychologiquehumain. Et par ailleurs, le neurologue ne contestera pasl’influence des émotions, des relations et du cadre de vie surune symptomatique telle que des troubles de comportement.Cette évidence étant posée, que fait-on dans ce qui apparaît àla fois comme unité incontournable, et comme différence toutaussi radicale ?Ces dernières années ont vu se développer, dans le courantdit des neurosciences, une série de tentatives de faire des pontsentre neurologie et psychologie. Kandel, neurobiologiste etpsychiatre américain a développé une épistémologie « mixte »dans un article — devenu article culte — sous le titre « Unnouveau cadre conceptuel de travail pour la psychiatrie »[19]. Les livres « L’erreur de Descartes », « La consciencemême de soi », ou « Spinoza avait raison » de Damasio [10–12] sur le même sujet sont devenus des best-sellers. Plusrécemment, Ansermet (pédopsychiatre et psychanalyste) etMagistretti (professeur de neurosciences) ont écrit ensemblel’ouvrage « À chacun son cerveau. Plasticité neuronale etinconsciente » [1]. Si le comportement du sujet–enfant est évidemmentune émergence liée à l’activité physicochimique ducerveau, le mécanisme d’émergence de ce comportement restelargement mystérieux. Il est nécessaire de penser les troublesdu comportement en termes de deux champs distincts, hétéronomes— neurologique et psychologique — mais en interactionévidente. Penser deux champs distincts ne doit pasAu contraire, penser interactions est précisément le gage desortir de la confusion (liée à une approche de réunion, desuperposition, ou même d’intersection), mais aussi le gage desortir du fief d’hétéronomies antagonistes, où les tenants desdeux champs s’affrontent en tentant de prouver que leur approcheest supérieure à celle de l’autre.Les recherches empiriques montrent en effet, que des relationspeuvent être établies entre les troubles externalisés et différentsfacteurs explicatifs, les uns relevant du champ neurologiqueet les autres, du champ psychodynamique. Dans lamesure où les symptômes observés chez les enfants sont prochesde ceux observés en cas d’atteinte cérébrale au niveaufrontal, plusieurs auteurs ont émis l’hypothèse qu’un troubleconstitutif des fonctions exécutives (c’est-à-dire, des processusde contrôle conscient de l’action) pouvait être à l’origine desdifficultés rencontrées par certains enfants présentant des troublesde comportement externalisés [3,25]. À l’appui de cesinterprétations, ces auteurs ont répertorié un nombre importantd’études montrant des performances plus faibles chez desenfants hyperactifs d’âge scolaire dans les mesures exécutives,en particulier, celle impliquant l’inhibition. À ce sujet, plusieursétudes ont relié l’inhibition, l’attention et les capacitésde régulation à des types de tempérament2 (considéré commeles bases biologiques précoces de la personnalité) chez l’enfantsoulignant par là l’aspect constitutif de certains troubles decomportement externalisés [4,27].Toutefois, certains enfants réussissent normalement les testsportant sur les fonctions exécutives [5]. Des facteurs noncognitifs expliqueraient aussi l’apparition des symptômes. Àcet égard, plusieurs recherches menées auprès d’enfants avectroubles externalisés du comportement ont montré que la qualitéd’attachement et la cohésion du système relationnel contribuentde manière substantielle au développement de comportementsadaptatifs chez l’enfant [13,22] et que le style éducatifadopté par les parents est essentiel [30,31,33]. Enfin, chez denombreux enfants avec troubles externalisés du comportement,des troubles du langage ont été mis en évidence [32]. Un déficitde la communication précoce pourrait donc également participerà l’émergence ou au maintien de ces troubles.

4. Diagnostic différentielAu-delà de ces facteurs étiologiques les plus souvent impliqués,il est également essentiel qu’un diagnostic différentielpuisse être effectué avec un certain nombre d’affections somatiquespouvant également être à l’origine des troubles de comportement.Ainsi, chez l’enfant de moins de quatre ans, desparasites, une intolérance alimentaire, un phénomène douloureuxchronique (reflux gastro-oesophagien) ou un problèmecutané doivent être exclus. Des conditions environnementalespeuvent également être responsables de l’agitation de l’enfant.De même, un sommeil perturbé et non réparateur engendrera,la journée, une agitation paradoxale chez l’enfant, que ce soitune quantité insuffisante de sommeil secondaire à un couchertardif, des difficultés d’endormissement ou des insomnies ouune qualité médiocre de sommeil secondaire à des apnées dusommeil, des cauchemars ou des parasomnies. L’agitation d’unjeune enfant peut en outre exprimer une attitude réactionnelle àune naissance dans la famille, un déménagement, une séparationparentale, un deuil, la perte d’un animal familier ou certainespeurs enfantines.Par ailleurs, des problèmes de capacités peuvent être àl’origine de l’agitation du jeune enfant. En premier lieu, desanomalies de perception que ce soit des troubles visuels ouauditifs sont à exclure. Un enfant malentendant peut paraîtreagité car il ne comprend pas tout ce qu’on lui dit. De même,des capacités intellectuelles limites ou inférieures peuvent serévéler par une agitation. Chez le jeune enfant, il est possibled’évaluer les capacités intellectuelles par sa compréhension dessituations, sa curiosité, les questions qu’il pose, son langage et/ou ses jeux. En cas de suspicion de limitation de ces capacitésintellectuelles, un bilan étiologique complet devra être réalisé.Rappelons qu’un périmètre crânien inférieur au 3e percentileest dans la majorité des cas associé à une déficience mentale.Certaines anomalies génétiques telles que le syndrome du « Xfragile » sont une cause importante de déficience mentale associéeà des troubles du comportement. L’exposition du foetuspendant la grossesse à l’alcool engendre aussi des troubles dudéveloppement cérébral ayant pour conséquence une déficiencementale et des troubles sévères du comportement.Enfin, la présence d’un trouble envahissant du développementdont l’autisme doit également être exclue. Certains signespourront orienter le professionnel : l’enfant est indifférent ouréagit bizarrement aux autres (enfant décrit dans son monde,qui ne regarde pas dans les yeux), l’enfant ne parle pas ou aun langage inhabituel (répétition de mots en écho), l’enfant nes’intéresse pas aux objets ou joue d’une manière étrange (agiteou fait tourner des objets de manière répétitive), l’enfant réalisedes activités répétitives avec son corps (agitation des mains,stéréotypies).Les troubles externalisés du comportement sont les plus fréquentsentre l’âge de quatre et de 12 ans. Il est évident qu’ilfaut commencer par exclure chez ces enfants les différentescauses responsables d’une agitation avant l’âge de quatre ans.Mais dans cette tranche âge, ce sont surtout des troubles dansl’utilisation des capacités qui peuvent engendrer un comportementagité. Pour utiliser ses capacités, l’enfant a besoin du langage,de maîtriser sa motricité globale et fine, d’être attentif etd’avoir une bonne mémoire. Un enfant présentant un troublespécifique du développement du langage (dysphasie par exemple)peut être frustré de ne pas pouvoir s’exprimer et peut doncs’agiter ou se mettre en colère. De même, un enfant ne maîtrisantpas son corps dans certaines situations d’adresse va semontrer beaucoup plus agité. Il est crucial de déterminer si unenfant présente des difficultés dans un de ces domaines.Enfin, lorsque le comportement d’un adolescent change brutalement,une anamnèse approfondie doit permettre d’exclurecertains problèmes comme les problèmes dépressifs et anxieuxqui peuvent générer une agitation paradoxale, ou la prise detoxiques. Un enfant ne devient en effet pas « hyperactif » à12 ans. Une mauvaise intégration scolaire, telle que lors duchangement d’école, peut inquiéter un adolescent et le rendreplus agité. Les conflits de l’adolescence sont aussi bien présents.

5. Un modèle épigénétique et développementalCet article tente de définir un cadre conceptuel permettantd’intégrer les facteurs étiologiques et leurs possibles interactionsdans une approche développementale et épigénétique,puis de tenter de dégager de cette approche, des conclusionssur le plan de l’évaluation et des traitements.Le développement de l’enfant ne peut se concevoir sans uneréférence aux liens que cet enfant tisse autour de lui dès le jourde sa conception. Seule la prise en considération de l’enfanten-développement inséré dans ses milieux de vie (famille,école puis groupes de pairs) peut donner lieu à une compréhensionplus affinée des facteurs explicatifs des troubles externalisés.Le modèle du « développement parental » conceptualisédans les années 1980 par Galinsky dans la perspective constructivistedu « développement tout au long de la vie » (lifespan) [14,15], permet cette compréhension interactive entrel’enfant et ses milieux de vie. Selon cette approche conceptuelle,la parentalité se développe selon une séquence de stades.À chaque stade, les parents ont à entreprendre une tâche développementaledirectement en rapport avec le développement deleur enfant. Les tâches développementales échouées ou partiellementaccomplies seraient, en raison du caractère intégratifdes stades, de nature à engendrer des troubles à long termechez l’enfant. L’intérêt de cette approche réside ainsi dans lefait qu’elle ne peut être comprise qu’en parallèle avec le développementde l’enfant lui-même La Fig. 2 propose une schématisationdu développement parental en interaction avec lescaractéristiques de l’enfant (Fig. 2).5.1. Stade des représentations3 (image-making stage)Le développement parental prend racine dès le début de lagrossesse au cours de laquelle les parents se forgent des représentationsà propos de l’enfant. Ils conçoivent tant les caractéristiquesphysiques que comportementales de l’enfant, notammenten fonction de la position sociale que l’enfant est supposéoccuper dans le futur. C’est le phénomène bien décrit en psychologie,de l’enfant rêvé. Le déroulement de la grossesse (oude précédentes fausses couches) et de l’accouchement (accidentnéonatal, prématurité) influence également la manièredont le couple devient parents. Tandis que les parents se forgentleurs propres représentations, le développement du foetusest quant à lui largement influencé par des facteurs génétiqueset par quelques facteurs environnementaux (santé de la mère,qualité de l’environnement, suivi gynécologique) offrant àl’enfant une constitution et un tempérament donné. La constitutionde l’enfant, notamment son équipement neurologique etpsychomoteur, ainsi que son tempérament, notamment sonniveau d’activité, ses capacités de régulation et d’inhibitionvont à leur tour influencer de manière importante le développementultérieur de l’enfant dans le milieu de vie qui l’accueillera.5.2. Stade de l’attachement4 (nurturing stage)Dès la naissance et jusqu’à l’âge de deux ans, les parentsont comme tâche développementale de s’attacher à l’enfant,non pas à l’enfant rêvé, mais à l’enfant tel qu’il est au mondeavec ses caractéristiques constitutionnelles (tempérament, équipementneurologique). L’attachement répond à l’un des troisbesoins fondamentaux5 du développement humain : celuid’être relié [29]. Il s’agit d’un stade de nourrissage et desoins au cours duquel la sensibilité des parents et leur capacitéà procurer à l’enfant le sentiment d’être relié sont capitales. Onconçoit aisément comment le développement de l’enfant luimêmeinteragit avec celui de ses parents. L’attachement à unbébé dont la santé et le développement n’induisent aucuneforme d’inquiétude se fait de façon plus paisible et sereineque lors de préoccupations liées à la maladie, des pleurs inexpliqués…L’attachement est également facilité lorsque lesreprésentations préexistant à la naissance rencontrent en partieau moins, les caractéristiques réelles de l’enfant. Au contraire,l’attachement à l’enfant peut se révéler nettement plus « insécurisé» quand ce dernier est par exemple prématuré, présente destroubles alimentaires ou du sommeil, une maladie chronique(malformation cardiaque par exemple), un retard psychomoteurou du langage. Il en va de même pour un bébé dont le tempéramentcomplique dès les premiers jours de vie, les rapports àson milieu de vie (capacité d’attention aux stimuli, régulationdans l’interaction, niveau d’activité par exemple).5.3. Stade de l’autorité (authority stage)À l’âge de deux ans, la première phase d’opposition apparaîtchez l’enfant. La capacité d’accéder à la compréhension dusymbolique permet au langage de se développer. L’émergencedu « non » constitue une étape importante dans la mesure oùelle permet à l’enfant de s’individualiser. Cette étape fournit lespremières réponses au deuxième des trois besoins fondamentauxpour le développement humain, le besoin d’autonomie[28]. Les compétences acquises sur le plan moteur et le langageprocurent en effet à l’enfant une autonomie grandissante. C’està ce stade que les parents ont pour tâche de fournir à leurenfant des repères éducatifs. À ce stade émergent les premiersconflits autour des interdits donnés à l’enfant. Il est d’autantplus aisé d’adopter des stratégies éducatives effectives avecl’enfant, que sa constitution en termes de tempérament etd’équipement neurologique lui offre les moyens d’y adhérer,que les représentations de l’enfant engrangées depuis la grossessese sont adaptées à ses caractéristiques réelles et quel’attachement réalisé lors du stade antérieur est de type sécurisé.L’éducation est la résultante du niveau de contrôle dontles parents usent envers l’enfant et l’autonomie dont l’enfantpeut jouir [26]. Plusieurs études ont montré que les pratiqueséducatives de parents d’enfants présentant des troubles externalisésdu comportement, étaient significativement plus contrôlantesque celles de parents d’enfants tout-venant [2,23]. Patterson[24] a notamment décrit les cercles vicieux auxquels cesfamilles étaient exposées, les parents et leur enfant se renforçantmutuellement dans une dynamique de comportementsnégatifs caractérisés surtout par une agressivité réciproque.C’est également dans ce contexte que le sentiment de compétenceéprouvé par les parents à l’égard de l’éducation de leurenfant, peut se trouver entamé. Un corpus d’études récentes apermis de voir cette variable comme un déterminant incontournablede la qualité et de la compétence parentale [7]. Le sentimentde compétence parentale peut être défini comme la perceptionqu’ont les parents de leur capacité à influencerpositivement le comportement et le développement de leurenfant. Le sentiment de compétence n’est pas d’emblée unecaractéristique propre des parents mais il est partiellement tributairede l’expérience que les parents ont avec leurs enfants.5.4. Stade de l’ouverture au monde (interpretative stage)Ce stade parental couvre la période allant de l’entrée dans lecycle 5–8 et toute la scolarité primaire. L’enfant entame alorsune période d’apprentissage au cours de laquelle les parents ontpour tâche de procurer un environnement stimulant et uneouverture au monde. Les parents ont à donner un accès auxconnaissances, des réponses aux questions de l’enfant, unensemble de valeurs morales culturellement appropriées. Lesmilieux de vie fréquentés par l’enfant, la famille et l’école enparticulier, répondent de concert au troisième des besoins fondamentauxpour le développement humain, le besoin de compétence[28]. À ce stade, les relations parent–enfant deviennentde plus en plus variées dans des environnements diversifiés(maison, école, mouvements de jeunesse, groupes de pairs,clubs sportifs, etc.). La gestion des valeurs et des pratiqueséducatives transmises par les éducateurs (toute personne ayantune influence éducative sur l’enfant) dans ces différents environnements,revient également aux parents. L’ouverture del’enfant est d’autant plus facilitée que sa constitution l’avantageen termes de tempérament/personnalité (sociabilité etouverture à l’expérience par exemple) ainsi qu’en termes decapacités neurocognitives (capacité à planifier ses actions et às’autoréguler par exemple). Elle l’est également lorsque l’attachementsécurisé qu’il a développé avec ses parents lui permetde tisser des liens gratifiants et équilibrés avec ses pairs et lesadultes non familiers. Elle l’est enfin lorsque les repèresmoraux et éducatifs qui lui ont été transmis par ses parents,lui permettent de s’adapter aux exigences liées à toute formede participation à un groupe social.5.5. Stade de l’interdépendance (interdependent stage)À l’adolescence, les enfants s’autonomisent davantage,remettant en question le statut de l’autorité parentale et la dynamiquerelationnelle au sein de la famille. La tâche développementaledes parents consiste à reconnaître l’identité adolescente,à gérer les nouveaux modes de séparation et deréunion, des rapports parfois hostiles et la sexualité de leurenfant. Du côté de l’enfant, l’autonomisation vis-à-vis dumilieu familial et la capacité de pouvoir s’attacher à des pairspuis de manière plus intime à former un couple, sont essentiellesà ce stade. Le développement de l’adolescent et de sesparents est d’autant plus facilité que les stades antérieurs ontété respectivement caractérisés par une adaptation des représentationsparentales, par un attachement sécurisé, par une adéquationentre la constitution et les besoins de l’enfant et lespratiques éducatives parentales, et par une ouverture progressiveau monde social. À ce stade, la constitution de l’adolescenten termes de personnalité et de fonctionnement neurocognitifprend également toute son importance. De nombreusesétudes ont en effet montré les liens existant entre le profil depersonnalité des adolescents et les troubles de comportement[21].Suivant la perspective épigénétique et développementaleproposée ici, il apparaît clairement que les troubles externalisésdu comportement s’enracinent habituellement dans les stadesantérieurs du développement de l’enfant et de ses parents.Même s’ils sont influencés par des facteurs constitutionnels(le tempérament, la personnalité, les capacités d’inhibition, deplanification et d’autorégulation), on peut habituellement trouverun trouble précoce d’attachement (stade de l’attachement),un déficit éducatif ou plus souvent, un manque d’accordageentre la constitution et les besoins de l’enfant d’une part etles pratiques éducatives parentales mises en oeuvre d’autrepart (stade de l’autorité), ou par un trouble du langage maldépisté (stade de l’autorité et de l’ouverture au monde).L’anamnèse et l’évaluation multidisciplinaires révèlent habituellementdes tableaux complexes dans lesquels ces différentsfacteurs étiologiques interagissent et se combinent. Que destroubles externalisés chez l’enfant s’expliquent de manière univoquepar des facteurs constitutionnels serait même particulièrementrare. Cela dit, ils ont un retentissement important sur lescapacités relationnelles de l’enfant, sur les pratiques éducativeset le sentiment de compétence des parents, sur les capacitésd’ouverture au monde et d’autonomie de l’enfant en âge scolaireet de l’adolescent.Suivant cette approche, il est presque toujours inconcevabled’approcher les troubles de comportement sans une évaluationmultidisciplinaire qui doit être effectuée au plus tôt afin qu’untraitement ciblé précoce puisse être proposé. Cette évaluationdevrait permettre de déterminer quels sont, pour chaque enfanten particulier, les facteurs impliqués dans l’étiologie des troubles.Cette évaluation impliquerait logiquement un examen dutempérament et/ou de la personnalité, un examen des fonctionscognitives (fonctions exécutives, attentionnelles, mnésiquesniveau intellectuel), un examen de l’attachement, un examenpsychomoteur, un examen du langage oral et des entretiensavec les parents.

6. TraitementLe traitement des troubles externalisés du comportementpeut prendre des formes variées, mono- ou multidisciplinaires.Le traitement doit être en rapport avec les facteurs étiologiquesrévélés par l’évaluation multidisciplinaire. Actuellement, ladémarche diagnostique est parfois rendue difficile par les préjugésdont il a été fait état supra, par le manque d’outils dont ilpeut être fait usage avant l’âge de six ans, ou encore parmanque d’information. Il n’est pas rare de constater la miseen place de traitements « standards » selon la discipline duclinicien, non basés sur une démarche diagnostique préliminaireou de traitements isolés ne tenant aucun compte de l’étiologiesouvent multifactorielle des troubles externalisés du comportement.La prise en charge, tout comme l’évaluation d’unenfant avec un trouble externalisé du comportement devraêtre pensée de manière interdisciplinaire et complémentaire.Ainsi, le traitement « réussi » d’un trouble externalisé ducomportement vise le changement de la relation de l’enfantau monde, où il trouve un meilleur rapport à sa famille, àl’école, et un meilleur rapport à lui-même. Pour y arriver, ilexiste différentes voies. Le succès de la prise en charge reposerasur l’identification des facteurs explicatifs révélés parl’approche diagnostique (anamnèse, évaluations psychologique,psychomotrice, cognitive et logopédique). L’approchedéveloppementale telle qu’elle vient d’être proposée peutconstituer un bon repère permettant d’intégrer les différentséléments diagnostiques, de comprendre comment leurinfluence respective se combine et s’enracine dans le développementde l’enfant dans ses milieux de vie.Si l’approche multidisciplinaire répond de manière adéquateà l’étiologie souvent multifactorielle des troubles de comportement,il faut nécessairement veiller à coordonner les différentstypes de traitements proposés (guidance parentale, psychothérapie,rééducation logopédique psychomotrice, et/ou neuropsychonologique,traitement médicamenteux). Il ne faut pas queces aides deviennent en soi un problème. Il est nécessairequ’il y ait un choix sur les priorités et un professionnel endossantla fonction de coordinateur pour le traitement proposé àl’enfant et à sa famille. Nous proposons une revue des traitementsexistants en les mettant en lien avec l’approche développementaletelle qu’elle a été proposée.6.1. La guidance parentaleQuel que soit le type de trouble de comportement externalisé,un accompagnement sous forme de guidance parentale estl’essentiel de la thérapie. L’approche épigénétique ne fait querenforcer cette conviction dans la mesure où elle illustre bienl’interaction dynamique se produisant entre le développementde l’enfant et celui de ses parents. L’agitation est tellementperturbante que les parents ont d’abord besoin de comprendrece qui se passe, puis, avec une visée thérapeutique à longterme, ils ont tout autant besoin de voir comment agir concrètementavec un enfant aussi déroutant.Comprendre, c’est voir avec eux quels sont les mécanismesen jeu dans les troubles de comportement. C’est aussi voir cequi, dans la vie quotidienne, amplifie le problème — notammentles bénéfices secondaires procurés à l’enfant — et ce qui,au contraire, aide ou soulage. L’implication des deux parentsest capitale. Une cohérence — non pas sous forme de deuxattitudes semblables, mais par le renforcement de l’allianceparentale face au problème — est tout à fait nécessaire. Ellese fonde sur l’idée que le père et la mère représentent chacunune figure d’attachement distincte pendant la petite enfance etque l’influence de chaque parent sur le développement ultérieurde l’enfant est non seulement bénéfique mais aussi complémentaire,dans la mesure où les contributions du père et de lamère sont différenciées. Les parents négocient leurs rôles respectifs,leurs responsabilités et leurs contributions enversl’enfant. Leur alliance s’enracine dans les efforts réalisésconjointement pour exercer la fonction parentale auprès del’enfant, dans la mesure où ces efforts relèvent de la coopération,du support et du respect mutuel, ainsi que du degré desatisfaction par rapport à la contribution de l’autre parent.Deux idées sont à la base du travail avec les parents. Premièrement,il faut tenter, dans toute la mesure du possible, decouper court au cercle vicieux : attitude inadéquate de l’enfant? irritation de l’adulte ? image négative de l’enfant chezl’adulte et chez l’enfant lui-même. Ensuite, c’est mettre enplace des stratégies pour arriver, pas à pas, à désapprendre certainscomportements inadéquats et à apprendre certains comportementsdésirés. Comme l’enfant, soit par manque de structuration,soit par défaut de concentration, a du mal à répondreaux attentes éducatives des adultes, ces objectifs (apprendre oudésapprendre) doivent être clairement précisés à l’enfant, identifiés sous forme concrète, ne pas nécessiter trop d’étapes intermédiaireset être renforcées pendant un temps suffisammentlong. Une approche de type comportementale, par des renforcementspositifs est donc ici à recommander, du moins pourcette partie du plan thérapeutique. Le livre « Du calme » [8]et récemment « Gérer un enfant difficile » [6] sont éclairants.D’un style simple, concret, fourmillant d’exemples, ils peuventêtre mis entre les mains de la plupart des parents. Il n’est pasinutile que les professionnels confrontés au problème s’y plongentégalement, en voyant avec les familles quelles sont lespistes utiles pour la situation particulière. Des groupes deparents animés par des thérapeutes cognitivocomportementauxse sont récemment mis en place notamment en Angleterre [16].Ils visent une guidance des parents insérés dans un groupecomprenant quatre à cinq couples tous confrontés à l’éducationd’un enfant au comportement difficile.Bien souvent, un contact doit être pris avec l’école afin deconsidérer les risques liés à l’exclusion scolaire et sociale. Onvise là également, à couper court au cercle vicieux du comportementproblématique ? irritation, sanction, rejet ? imagenégative. Ces enfants mettent souvent l’enseignant à bout soiten le poussant à des excès de sanctions soit en le confrontant àson impuissance. L’enseignant se montre habituellement preneuret soulagé d’une démarche commune parents–enseignant–thérapeute face au problème.6.2. PsychothérapieEn paralléle de la guidance parentale, une approche psychothérapeutiqueclassique peut être proposée à l’enfant lui-même.Elle vise à aborder les aspects relationnels, l’attachement enparticulier, et identitaires, comme l’estime de soi. Une approchedes valeurs morales peut également y être envisagée. Uneapproche psychothérapeutique peut être ponctuellement destinéeaux parents et à l’entourage (frères et soeurs entre autres,qui bien souvent souffrent d’une ambiance familiale renduedifficile par le comportement de l’enfant hyperactif, et par lesréactions d’exaspération parentale). Ce sera très certainement lecas lorsque des troubles relationnels sont la cause ou la conséquencedu trouble externalisé.Pour l’enfant, il importe de comprendre avec lui sa manièrede vivre son problème, et les effets de son problème surl’entourage familial, scolaire, social. Si l’enfant reste capabled’une analyse critique et autocritique de ce qui se passe, c’esthabituellement de bon pronostic, ou, plutôt, cela facilitera letraitement de l’aspect psychologique et relationnel. Dans cecas, en effet, l’enfant se montre désolé des effets de ses comportements,qu’il reconnaît ne pas arriver à contrôler malgréses efforts. Il repère que les adultes, malgré leur sévérité etles exigences qu’il perçoit à son égard, restent fondamentalementbienveillants et encourageants. Nous avons alors de bonnesconditions pour le faire participer activement au plan thérapeutique,en dégageant des objectifs avec lui, en indiquantces objectifs fixés à ses parents et à son enseignant. Plus difficileest la situation où l’enfant est dans un vécu devenu négatif.Il perçoit l’entourage comme hostile et persécuteur. Il réagitagressivement, il est devenu agressif « proactif ». Ses difficultésrelationnelles ne sont plus simplement l’effet de l’agitation,elles sont aussi dues à son agressivité, mécanisme de défenserenforçant malheureusement le problème. Le principe du traitementrelationnel reste le même, mais ce traitement sera alorssouvent plus long et difficile. Si le problème reste trop importantet que les limites de prise en charge familiale et scolairesont dépassées, il peut être nécessaire de passer le relais à desstructures institutionnelles spécialisées (centre thérapeutique dejour ou résidentiel, enseignement spécial).6.3. Les rééducations psychomotrices, orthophoniqueset neuropsychologiquesChez les enfants plus jeunes, jusqu’à sept ans, un travailpsychomoteur, avec et sur le corps, est l’intervention individuellede premier choix. Ce travail visera tantôt des objectifsplus « corporels » (perception du corps, détente, relaxation)tantôt des objectifs plus structurants (travail sur les règles etles limites, contrôle du mouvement global ou fin, contrôle del’impulsivité). Chez les enfants plus âgés, ce sera une prise encharge logopédique qui aidera à la remédiation d’une part, avecun soutien psychologique renarcissisant d’autre part, dans lamesure où une fréquente occurrence des troubles du langage— au sens large — associés aux troubles externalisés du comportementa été signalée (cfr. supra). La rééducation neuropsychologiquepermet également, dès l’âge de cinq ou six ans, detravailler les capacités d’attention et de contrôle de l’enfant. Àl’adolescence, l’aide d’un neuropsychologue ou d’un pédagoguepeut s’avérer utile pour développer structuration et méthodologiedes apprentissages (prise de notes, classification, gestionmentale, méthode de travail).6.4. Le traitement médicamenteuxLorsque des facteurs de type génétiques et biologiques interviennent,notamment liés à un déficit des fonctions exécutivesou des capacités attentionnelles ou mnésiques, un traitementmédicamenteux peut être proposé sous certaines conditions.Le méthylphénidate est le plus connu et le plus utilisé. Il y acependant d’autres types de médicaments qui ont été ou sontutilisés : les antidépresseurs tricycliques, certains neuroleptiques,la clonidine, la venflaxine, ou la carbamazépine parexemple. Ces médicaments sont utilisés dans d’autres affectionségalement, mais un effet sur certains troubles de comportementcomme l’ADHD, a été mis en évidence en clinique etdans des études versus placebo.Le méthylphénidate est une amphétamine et son action positiveporte sur le déficit d’attention. Améliorant l’attention, lemédicament améliore par conséquent l’agitation. Il sera réservéaux situations de diagnostic clair de « troubles de l’attention »,suffisamment invalidants pour l’enfant (échec scolaire, gravescercles vicieux relationnels : agitation ? énervement ? rejet etattitudes inadéquates) et qui ne s’améliorent pas après un tempsde traitement multidisciplinaire associant remédiations individuelles(cognitives et/ou affectives et/ou pédagogiques), soutien aux parents et collaboration avec le (ou les) enseignant(s).Cette attitude de bon sens clinique et thérapeutique a pourtantdu mal à être bien appliquée, voire bien comprise dans lemonde médicopsychologique et par les familles. Il y a encoredes approches thérapeutiques qui démarrent d’emblée par lemédicament et à l’inverse, d’autres qui ne l’utiliseront jamais.La vogue et l’engouement dans le monde médical, maisaussi dans le milieu enseignant, auprès des parents et mêmedans les médias pour l’hyperactivité tiennent, au moins en partie,à l’existence de ce traitement médicamenteux. Pour unepart certainement parce que c’est un traitement qui peut êtrerapidement efficace, s’il est donné à bon escient, et que ceteffet positif pousse à l’usage, mais aussi au mésusage et àl’abus. L’usage de ce traitement médicamenteux a développédeux courants extrêmes et opposés. Un courant a très clairementabusé de prescriptions (on cite à raison les dérives américainesoù parfois plus d’un tiers des enfants d’une école sontsous méthylphénidate). L’autre courant est opposé à tout usaged’un traitement médicamenteux et dénonce avec virulence cettenouvelle substance venue d’outre-Atlantique. Comme biensouvent, et ici en l’occurrence, c’est l’extrémisme qui est leproblème, mais les questions du débat sont pertinentes. D’uncôté, en effet, on est longtemps passé et on passe vraisemblablementencore souvent à côté d’une démarche diagnostiqueadéquate, et des enfants souffrent de leurs difficultés d’apprentissageet de leur agitation sans prise en charge adéquate. D’unautre côté, il y a à l’évidence un abus de demande de médicationde la part de certains parents et de certains enseignants etun abus de prescriptions de certains médecins.La position juste est de poser un bon diagnostic, le caséchéant sur base d’examens multidisciplinaires, puis de mettreen route la prise en charge adéquate. Ensuite, ce sera, en cas deprescription, de veiller à ne pas s’en tenir à cet acte seul, maisde prendre en compte les autres facteurs explicatifs — révéléspar les examens — des troubles externalisés en y apportant desréponses thérapeutiques telles qu’elles ont été évoquées plushaut : guidance parentale, psychothérapie, rééducations psychomotriceet logopédique.Le traitement médicamenteux exige quelques précautionsd’emploi. Un électrocardiogramme, un électroencéphalogrammeet une prise de sang seront réalisés avant l’introductiondes médicaments. La médication sera introduite progressivementavec une dose le matin juste avant l’école et sinécessaire une dose début d’après-midi. La réponse thérapeutiqueest rapide dans les premiers jours. Septante pour cent desenfants répondent. Parmi les effets secondaires, des troubles dusommeil et de l’appétit sont rencontrés. Afin d’éviter une diminutiond’appétit, le médicament peut être donné après les repas.Son utilité sera réévaluée tous les six mois. L’exacerbation detics ou d’une épilepsie préexistante peut se voir. Ces médicamentssont contre-indiqués avant l’âge de six ans, en présencede lésions cérébrales, d’une épilepsie mal contrôlée, d’un étatde dépression ou d’anxiété.Certains médecins prescrivent le méthylphénidate sept jourssur sept et les vacances. D’autres réservent le médicament auxmoments où l’enfant en a vraiment besoin. C’est-à-dire non paspour « être calme », mais bien pour être concentré quand c’estnécessaire pour son développement, c’est-à-dire en classe, làoù la concentration est indispensable pour le processusd’apprentissage. Dans ces cas, la prescription est limitée auxjours d’école, donc ni le week-end, ni les vacances.Cependant, l’essentiel de la précaution dans l’usage dumédicament n’est pas lié à la quantité de produit prescrit, niau nombre de jours de prescriptions. L’essentiel reste la capacitépour l’enfant, pour les parents, pour l’enseignant, pour lesoignant, de « penser » tous les autres facteurs liés aux troublesde comportement. Même si le médicament est « efficace »,c’est cette perspective épigénétique et multifactorielle quireste nécessaire à son bon usage. Le médicament ne peut êtrequ’un élément parmi d’autres d’une approche plus globale intégrantles aspects cognitifs, affectifs, relationnels et pédagogiques,et des entretiens avec l’enfant et les parents pour mettredu sens sur ce qui se passe en classe, en famille et ailleurs,dans la tête et dans le coeur.

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